GEORGE SAND LETTRES Ă PONCY I LA LITTĂRATURE PROLĂTAIRE. â VERS LA RĂVOLUTION 1842-1848 George Sand vient dâĂȘtre de nouveau rappelĂ©e Ă lâattention du grand public. Dix semaines consĂ©cutives, un confĂ©rencier de talent, Ă la parole aussi spirituelle quâindĂ©pendante, a entretenu de George Sand un auditoire nombreux, chaleureux, qui ne se lassait pas de lâĂ©couter[1]. Presque en mĂȘme temps, en Belgique, une femme distinguĂ©e, versĂ©e depuis longtemps dans ce grand sujet, lâabordait, â moins amplement il est vrai, â devant le grand public, avec un succĂšs complet[2]. Dâautres Ă©tudes se prĂ©parent, nous le savons, qui Ă©tendront aux idĂ©es » de George Sand lâattention quâil Ă©tait jusquâici convenu de nâaccorder quâĂ la femme ou Ă la romanciĂšre. Tant il est vrai que George Sand nâest pas, comme on lâa trop rĂ©pĂ©tĂ©, un sujet Ă©puisĂ©. Ce nâest mĂȘme pas un paradoxe de prĂ©tendre quâĂ peine commence-t-on Ă lâĂ©tudier comme il mĂ©rite de lâĂȘtre, dans lâampleur de sa multiple harmonie, et dans la bienfaisance de sa gĂ©nĂ©rositĂ© fonciĂšre. Celle quâon a parfois justement appelĂ©e la bonne socialiste » a rĂ©coltĂ© jusquâici, pour ses utopies soi-disant dangereuses, surtout des injures ou des dĂ©dains. Nul doute quâune Ă©tude attentive et impartiale ne lui fasse sur ce point capital la juste part qui lui revient dans lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale des sentimens et des idĂ©es au cours du dernier siĂšcle. Nul doute aussi que, â en attendant la suite du grand ouvrage de Vladimir KarĂ©nine, â George Sand nâapparaisse de plus en plus, Ă des yeux non prĂ©venus, non point comme un reflet de certains hommes de son temps, mais comme un des foyers de son temps ; non pas comme un Ă©cho, mais comme une voix, une des grandes voix du XIXe siĂšcle. La puissance de son appel, la rĂ©percussion profonde de son cri sont choses qui nous saisissent aujourdâhui dâĂ©tonnement, et quâil serait vain dâexpliquer par une vogue passagĂšre câest bien, Ă certaines heures, une conscience quâelle a donnĂ©e Ă lâinconscient, une Ăąme Ă lâobscur instinct des foules, une Ă©toile Ă la marche tĂątonnante du peuple en quĂȘte non plus de pain et de travail seulement, mais de foi sociale, de bonheur et dâidĂ©ale fraternitĂ©. Cette vertu cachĂ©e de puissance continue, cette force dâ Ă©lĂ©ment, » mais dâun Ă©lĂ©ment qui serait humain, on la trouve et on la capte en quelque sorte Ă sa source dans lâinĂ©puisable correspondance de George Sand. LĂ elle sâest versĂ©e encore plus complĂštement que dans ses Ćuvres, quoique partout elle se soit versĂ©e, » et que sâĂ©pancher fĂ»t en quelque sorte sa fonction naturelle. On en peut juger par ce qui a paru jusquâici de ses lettres, soit dans les six volumes publiĂ©s par son fils, soit par quelques correspondances particuliĂšres, telles que celle avec Flaubert. Encore ce qui a paru est-il peu de chose auprĂšs de ce qui reste Ă paraĂźtre. Nous avons pu naguĂšre, nous-mĂȘme, Ă lâoccasion dâune des correspondances inĂ©dites qui sont entre nos mains, faire la preuve, jusque dans sa famille, de cette constante sĂ»retĂ© de sa direction morale, de la bontĂ© tonique de son perpĂ©tuel conseil[3]. Et il sâagissait lĂ dâune fille aussi dissemblable que possible de la mĂšre, et des conjonctures les plus dĂ©licates, oĂč la mĂšre la plus prĂ©voyante, la plus expĂ©rimentĂ©e, peut elle-mĂȘme, en dĂ©pit du gĂ©nie, se trouver en dĂ©faut. Mais George Sand Ă©tait cĆur encore plus que gĂ©nie. Et câest ce cĆur, dans ses lettres, qui guide sa plume, plus sĂ»rement encore que son bon sens et sa raison, qui sont souvent eux-mĂȘmes admirables. A cette preuve plusieurs autres pourraient sâajouter, qui sans doute se produiront Ă leur heure. Ce que lâon connaĂźt jusquâici seulement par Ă©chantillon apparaĂźtra bien plus riche et plus beau, lorsquâon pourra manier lâĂ©toffe Ă pleines mains. Et ni la correspondance avec Dumas fils, ni celle avec Rollinat pĂšre, ni celle avec Fromentin, ne dĂ©mentiront sans doute ce que lâon peut attendre dâamitiĂ©s aussi grandes, aussi consacrĂ©es. MĂȘme dans le cercle de la famille moins immĂ©diate, de la demi-famille, si lâon peut sâexprimer ainsi, plus dâune dĂ©couverte intĂ©ressante demeure Ă faire. Mais, pour nous borner Ă un exemple sans doute moins attendu, câest peut-ĂȘtre dans sa correspondance avec un ouvrier, quâelle ne connaissait pas lorsquâelle lui Ă©crivit la premiĂšre, que George Sand a prodiguĂ© bĂ©nĂ©volement, avec une plĂ©nitude quâelle nâa nulle part Ă©galĂ©e, les plus admirables trĂ©sors de son Ăąme maternelle et de sa plume fervente. En cet inconnu Ă qui elle prĂȘtait du gĂ©nie, elle saluait lâascension du peuple vers la littĂ©rature et lâart. Si elle se fit quelque illusion sur ce point, â et peu importe quant au fond des choses, â elle ne se trompait point en tirant de la foule ce cĆur digne du sien, et en lâĂ©levant au privilĂšge dâune intimitĂ© qui fut toujours aussi noble que complĂšte. Et tout cela forme un chapitre trĂšs attachant, ignorĂ© Ă peu prĂšs, de la vie de George Sand ; et cet Ă©pisode lui-mĂȘme, par sa signification, a une valeur dâhistoire quâil ne faut certes pas surfaire, mais quâon aurait tort de diminuer. A cĂŽtĂ© de lâhomme, objet de cette correspondance, ou plutĂŽt en lui et Ă travers lui, il y avait une question. Lâhomme, lui, sâappelait Charles Poncy, Ă©tait ouvrier maçon, et habitait Toulon. La question se dĂ©signait, alors, sous ce nom la littĂ©rature prolĂ©taire. » Peut-il y avoir une littĂ©rature des ouvriers ? et les ouvriers sont-ils capables Ă la rigueur de la faire par eux-mĂȘmes ? Sur le premier point, les esprits libĂ©raux, au lendemain de 1830, rĂ©pondaient nettement Oui. Et sur le second, George Sand la premiĂšre, et Ă peu prĂšs la seule, rĂ©pondit Pourquoi pas ? Tout ce dĂ©bat, consĂ©quence logique dâune premiĂšre rĂ©volution accomplie par le peuple et dont le peuple aurait dĂ» dâabord bĂ©nĂ©ficier, se rattache Ă lâidĂ©e que les conducteurs dâĂąmes se faisaient alors du peuple, Ă la question de lâinstruction populaire qui passionnait alors les esprits loi Guizot, 1833, enfin Ă la politique elle-mĂȘme sous le couvert de lâĂ©galitĂ©. Tandis que la premiĂšre loi primaire renversait la plus haute barriĂšre des classes en retirant Ă lâinstruction son caractĂšre de privilĂšge, les publicistes rĂ©pandaient Ă pleines mains la semence dans les sillons frais, en appelant la masse qui sait lire Ă la connaissance des questions sociales, avant de lâappeler Ă leur discussion. CâĂ©tait le mouvement inaugurĂ© par la Convention, qui reprenait sous la monarchie de Juillet. Et ni lâEncyclopĂ©die Ă deux sous, de Leroux et Reynaud, ne faisait sourire personne, ni le Livre du Peuple, de Lamennais, ne soulevait lui-mĂȘme les mĂ©pris et les colĂšres que le parti conservateur exhalera plus tard. Lerminier, il est vrai, esquissera dĂšs lors 1838 une Ă©volution semi-bourgeoise qui sera celle de la Revue mĂȘme dont il est le porte-parole, et, de ce fait, il sâattirera une rĂ©plique de George Sand[4]. Mais ces escarmouches, courtoises dans les formes, vives dans le fond, nâen acheminent pas moins la question en la faisant passer du terrain politique au terrain intellectuel, et en donnant Ă la discussion sur lâĂ©galitĂ© sociale, sinon lâĂ©galitĂ© littĂ©raire, du moins lâavĂšnement littĂ©raire pour couronnement. Si lâouvrier, inculte, ne peut rien produire dans le domaine de la pensĂ©e et de lâart, ne pourra-t-il produire dĂšs quâil sera cultivĂ©, mĂȘme sommairement cultivĂ© ? La lourde terre vierge du cerveau populaire, dĂšs le premier labour, ne projettera-t-elle pas Ă la lumiĂšre des moissons inattendues ? Le grain en pourra ĂȘtre Ăąpre et sauvage, la pĂąte inĂ©gale et amĂšre. Mais cette saveur, cette rudesse, ne seront-elles pas un bienfait ? Ne manque-t-il pas Ă la littĂ©rature artistique des purs intellectuels cette sĂšve naturelle et cette simplicitĂ© sans lesquelles lâĆuvre populaire nâexiste pas ? Peut-on dire que nos plus beaux ouvrages littĂ©raires, soit classiques, soit surtout romantiques et lâon est encore en plein romantisme, aient une vĂ©ritable popularitĂ© en France, et touchent le cĆur de la foule ? Ainsi les chefs-dâĆuvre sont le produit dâune Ă©lite, ne sâadressent quâĂ une Ă©lite. Ils peuvent mĂȘme avoir plus dâaction Ă lâĂ©tranger que dans leur pays dâorigine. Nây a-t-il lĂ aucun paradoxe ? Nâest-ce mĂȘme point pour la France, si glorieuse de ses Ćuvres europĂ©ennes, » une infĂ©rioritĂ© notoire, et un danger intellectuel capital ? Eh quoi ! Schiller et GĆthe sont non seulement nationaux, mais populaires » en Allemagne ; et un ouvrier, Hans Sachs, put y ĂȘtre Ă la fois populaire et classique. Un Racine, un Lamartine, sont-ils chez nous populaires ? » ĂĂ et lĂ , tel classique ou tel moderne peut sâadresser Ă tous, ĂȘtre compris de tous, sans que lâart y perde rien. Mais câest lâexception. En France, Ă dire le vrai, il nây a pas de littĂ©rature pour le peuple. Les grands Ă©crivains, en gĂ©nĂ©ral, ne le connaissent pas, ne sâadressent pas Ă lui. Il a pourtant, ce peuple, ses joies et ses peines, ses travaux, ses passions, ses instincts confus dâart et de poĂ©sie. Il sent, et mĂȘme il pense, et surtout il veut. Pourquoi ne parlerait-il pas lui-mĂȘme ? Pourquoi ne sâexprimerait-il pas dans son langage ? Ce langage lui-mĂȘme, incertain ou impropre au dĂ©but, sera bientĂŽt viril, fort, et neuf. Car il dira toujours quelque chose, et lâart pour lâart lui sera inconnu. Et il parlera de ce quâil connaĂźt bien. Qui peindra mieux lâhomme du peuple que lui-mĂȘme ? Et qui sait si, de cette nĂ©o-littĂ©rature, comme du nĂ©o-christianisme annoncĂ© par Lamennais, ne naĂźtra point la rĂ©vĂ©lation propre Ă remettre dans la grande voie de la nature ici lâart, lĂ la religion ? Ainsi sâenchaĂźnent les questions aux questions. Et George Sand, conquise dĂ©jĂ Ă la palingĂ©nĂ©sie sociale, ajoute la foi littĂ©raire Ă la foi politique, espĂ©rant toujours voir luire sur la nuit de la foule lâaube de la littĂ©rature nouvelle. Au moment prĂ©cis oĂč le premier Ă©chauffement de lâinstruction populaire va provoquer quelque Ă©closion de poĂ©sie, elle Ă©crit dans la prĂ©face du Compagnon du Tour de France, â de ce roman qui devait lui fermer pour de longues annĂ©es la Revue oĂč son talent avait pris un si magnifique essor, â ces lignes sous la date de 1840 Il y aurait toute une littĂ©rature nouvelle Ă crĂ©er avec les vĂ©ritables mĆurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littĂ©rature commence au sein mĂȘme du peuple ; elle en sortira brillante avant quâil soit peu de temps. Câest lĂ que se retrempera la muse romantique, muse Ă©minemment rĂ©volutionnaire, et qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille. Câest dans la race forte quâelle trouvera la jeunesse intellectuelle dont elle a besoin pour prendre sa volĂ©e. » CâĂ©tait lĂ une affirmation intrĂ©pide. NĂ©anmoins, les faits parurent, dans une certaine mesure, ne pas trop dĂ©mentir une prophĂ©tie Ă ce point optimiste. Justement, lâapparition des PoĂ©sies de Magu, le tisserand de Lizy-sur-Ourcq, venait dâattirer lâattention 1839. Ce nâĂ©tait point le premier poĂšte ouvrier, puisque Reboul de NĂźmes, Jasmin dâAgen, et dâautres, Ă©taient dĂ©jĂ connus. Mais sa publication tombait trop Ă point pour ne pas exalter la discussion. Le livre de Magu en prit une importance qui lâeffara lui-mĂȘme, et sa personne inspira une Ă©norme curiositĂ©. BĂ©ranger recevait le poĂšte ; George Sand accourait le fĂ©liciter ; David dâAngers se dĂ©plaçait pour briguer lâhonneur de faire son mĂ©daillon ; cadeaux et souscriptions pleuvaient dans sa chaumiĂšre ; 2 000 volumes Ă 4 francs sâenlevaient en quelques semaines câĂ©tait la gloire, et presque la fortune. AussitĂŽt Olinde Rodrigues, secondant lâeffort de Buchez Ă lâAtelier et de Vinçard Ă la Ruche populaire, publiait, en 1841, un recueil des poĂ©sies Ă©parses des poĂštes-travailleurs, sous le titre un peu prĂ©tentieux, mais juste au fond, » dira George Sand, de PoĂ©sies sociales des ouvriers. Parmi les noms nouveaux que rĂ©vĂ©lait ce recueil, se trouvait celui du cordonnier Savinien Lapointe. Mais dĂ©jĂ ils sont trop, et notre dessein nâest pas ici de les nombrer. Ces poĂ©sies furent Ă©pluchĂ©es, et ne pouvaient manquer de lâĂȘtre par ceux que la manifestation soudaine du gĂ©nie poĂ©tique dans le prolĂ©tariat laissait incrĂ©dules. Ni Cuvillier-Fleury aux DĂ©bats, ni Lerminier Ă la Revue des Deux Mondes, ne parurent convaincus. Ce dernier donnait quelques bonnes raisons. Il lui paraissait, et Ă bon droit, que ce qui manquait le plus Ă ces poĂ©sies dâouvriers, ce fĂ»t le cachet de lâoriginalitĂ© populaire. » Il croyait ces cris de victoire, ces chants de triomphe anticipes. Il ne pensait pas que lâaxe de la civilisation intellectuelle pĂ»t se dĂ©placer aussi facilement. Il disait, non sans mordant Aujourdâhui on se fait Ă©crivain avec une facilitĂ© admirable. » Et, voyant Chateaubriand, BĂ©ranger, Lamartine, Lamennais, renchĂ©rir dâĂ©loges et dâencouragemens, il s apitoyait sur lâouvrier, quâil voyait dĂ©jĂ tomber de son trĂ©pied de gloire mal assise. » CâĂ©taient lĂ de sages paroles. Pourtant, il est juste de dire que les coryphĂ©es si illustres et si gĂ©nĂ©reux de la littĂ©rature prolĂ©taire fĂȘtaient une espĂ©rance beaucoup plus quâun rĂ©sultat. Et ce quâil y eut de naĂŻf et de persĂ©vĂ©rant dans cette espĂ©rance qui, aidĂ©e des Ă©vĂ©nemens publics, eĂ»t sans doute abouti Ă des rĂ©sultats apprĂ©ciables, est prĂ©cisĂ©ment ce qui les honore. Tout nâĂ©tait pas illusion dans ce rĂȘve, et le rĂȘve lui-mĂȘme avait un point dâappui dans la rĂ©alitĂ©. En provoquant lâartiste populaire, on forçait le peuple Ă lâinstruction. Et, si lâon peut ainsi dire, en attendant, le moyen passait le but. Aussi George Sand, avec son dĂ©vouement inlassable, creusait-elle sans discontinuer son sillon, non plus dans la Revue des Deux Mondes, mais dans cette Revue IndĂ©pendante. TantĂŽt, sous le pseudonyme de Gustave Bonnin, elle y Ă©crit Sur les poĂštes populaires ; et tantĂŽt, sous son nom, un premier et un second Dialogue familier sur la poĂ©sie des prolĂ©taires[5]. On dirait quâinsensible aux railleries elle guette Ă lâhorizon, comme une vigie, lâapparition dâun enfant du peuple qui porte au front le sceau du gĂ©nie. Elle attend mieux que Magu et Savinien Lapointe. Elle nâespĂšre pas seulement, elle est sĂ»re. Or, en cette mĂȘme annĂ©e 1842, paraĂźt un volume de vers intitulĂ© simplement Marines, signĂ© dâun nom inconnu Charles Poncy. Elle le lit avidement. La prĂ©face, signĂ©e dâOrtolan, dit que lâauteur est trĂšs jeune, pauvre, ouvrier ; il habite Toulon. Câest lui ! Son cĆur bondit, sa plume vole. Et, dâinspiration, elle lance Ă lâinconnu la premiĂšre lettre dâune correspondance qui devait durer trente-quatre ans, et ne sâarrĂȘter que deux mois avant sa mort[6]. â Mon enfant, lui Ă©crit-elle, vous ĂȘtes un grand poĂšte, le plus inspirĂ© et le mieux douĂ© parmi tous les beaux poĂštes prolĂ©taires que nous avons vus surgir avec joie dans ces derniers temps. Vous pouvez ĂȘtre le plus grand poĂšte de la France un jour, si la vanitĂ©, qui tue tous nos poĂštes bourgeois, nâapproche pas de votre noble cĆur, si vous gardez ce prĂ©cieux trĂ©sor dâamour, de fiertĂ© et de bontĂ© qui vous donne le gĂ©nie. On sâefforcera de vous corrompre, nâen doutez pas ; on vous fera des prĂ©sens justement, le ministre Villemain venait de lui envoyer un choix de livres, et le geste ne laissait pas dâavoir son Ă©lĂ©gance ; on voudra vous pensionner, vous dĂ©corer peut-ĂȘtre !⊠Prenez donc garde, noble enfant du peuple ! Vous avez une mission plus grande peut-ĂȘtre que vous ne croyez[7] !⊠» Tel est le thĂšme. Cette lettre lyrique, qui tient de lâhymne et de la thĂšse, et qui risquait dâĂȘtre plus corruptrice » pour un jeune homme que la bibliothĂšque offerte par Villemain, sâexplique par le diapason auquel les Ăąmes Ă©taient alors montĂ©es. Et puis, elle sâadressait Ă un homme du Midi, Ă un poĂšte. Les risques Ă©taient moindres. Le jeune Toulonnais semble avoir compris que ces Ă©loges enthousiastes sâadressaient moins Ă sa personne quâĂ lâidĂ©e que George Sand incarnait en lui, Ă cet homme de douleur quâĂ©tait le peuple pris en soi, Ă cette sorte de Christ collectif quâil sentait en lui-mĂȘme, ce qui lâavait fait sâĂ©crier, dans un trĂšs beau vers Pourquoi me brĂ»les-tu⊠ma couronne dâĂ©pines ?Et dĂšs lors le dialogue sâengagea entre lâĂ©crivain de gĂ©nie et lâouvrier maçon. Mais un beau vers ne fait pas un beau volume, pas plus quâune hirondelle ne fait le printemps. Y avait-il dans les Marines de quoi autoriser de grandes espĂ©rances, sinon justifier le dithyrambe dont les avait saluĂ©es George Sand ? Oublions les Ă©loges dont il fut alors Ă©crasĂ© ; et reconnaissons un certain souffle chez ce jeune homme qui, nâayant pas vingt et un ans, Ă©crivait des strophes comme celles-ci au retour du chantier A un vaisseau de cent-vingt en dĂ©molition Colosse, Ă ton aspect jâai vu pleurer mon pĂšre. Dans ton sein sâĂ©coula sa jeunesse prospĂšre, FĂ©conde en beaux Ă©lans ; Il aime Ă me conter que souvent, pauvre mousse, Sur un fragile pont il a grattĂ© la mousse AttachĂ©e Ă tes flancs. BientĂŽt de ce vaisseau, qui fouilla les entrailles Des plus lointaines mers, du gĂ©ant des batailles Il ne restera rien, Rien quâun nom admirĂ© dans nos gloires navales, Un nom quâĂ lâavenir lĂ©gueront nos annales, Et ce nom, câest le tien ! Tout nâĂ©tait donc pas illusion dans la louange excessive adressĂ©e au dĂ©butant par George Sand. Dâailleurs, le premier hommage, câest elle qui lâavait reçu. Une piĂšce lui Ă©tait dĂ©diĂ©e dans les Marines, oĂč Poncy lâappelait sa sainte patronne, » et la mĂšre de son cĆur. » Comment ne lui eĂ»t-elle pas rĂ©pondu Mon enfant ! » Si le poĂšte Ă©tait dĂ©jĂ intĂ©ressant, lâhomme lâĂ©tait encore davantage. Le secret instinct de George Sand, en ceci, ne lâavait pas trompĂ©e. Fils dâun maçon entrepreneur, enfant du chantier, Poncy, Ă neuf ans, Ă©tait manĆuvre et servait les ouvriers. Vers la premiĂšre communion, il avait suivi quelque temps lâĂ©cole mutuelle, celle des FrĂšres, enfin lâĂ©cole communale supĂ©rieure. Et câest tout. Je me trompe. MĂȘme revenu au plĂątre, le goĂ»t de lâĂ©tude lâavait suivi. Il Ă©tait liseur ; il dĂ©vorait. Il a contĂ© lui-mĂȘme, en gentils vers, quâil dĂ©valisait les bouquinistes du quai. Ses Ă©conomies dâapprenti passaient au Magasin pittoresque. Il sâenchantait de poĂ©sie ; il griffonnait des vers. Le mĂ©decin de la famille, Ortolan, en dĂ©couvrit sur la table en cherchant du papier pour faire une ordonnance il questionna le jeune homme, lâencouragea, lâaida Ă se faire imprimer. Poncy, qui devait plus tard sâachalander, sâenrichir, devenir fonctionnaire de la Chambre de Commerce et laisser une belle fortune, Ă©tait alors un adolescent pauvre, ardent et ingĂ©nu couturĂ© de petite vĂ©role au point dâen ĂȘtre presque dĂ©figurĂ©, il attirait par ses yeux intelligens et chauds. Il aimait une belle jeune fille de son rang, qui lui rendait sa tendresse, et quâil Ă©pousa aprĂšs le succĂšs Ă©clatant du livre oĂč il lâavait chantĂ©e Ă eux deux, en 1843, ils avaient quarante ans. Elle rĂ©pondait au nom de DĂ©sirĂ©e, un nom de roman ; et tout paraissait romanesque dans cette aventure, et rien nây manquait de ce qui pouvait ravir une George Sand, la fougueuse dĂ©mocrate, lâadmiratrice de Lamennais, lâ Ă©lĂšve, » comme elle se disait alors, de Pierre Leroux. Aussi avait-elle assumĂ©, et de quel Ă©lan ! la charge morale de lâouvrier poĂšte. Ce talent naissant, elle voulait lâamplifier et lâaffermir ; ce caractĂšre aimable, le viriliser ; cet esprit curieux, le meubler, lâouvrir, le fĂ©conder ; ce goĂ»t parfois douteux, lâĂ©purer. Surtout, il fallait mettre cette Ăąme fragile en garde contre les sĂ©ductions de la flatterie et lui rĂ©pĂ©ter sans cesse excelsior, en lui montrant le but, Ă savoir lâhomme du peuple idĂ©al. Grande tĂąche, Ă laquelle elle se dĂ©voue avec son Ă©nergie coutumiĂšre, secondĂ©e dâailleurs par la nature trĂšs rĂ©ceptive de Poncy Mon cher Poncy[8], il faut plaindre profondĂ©ment et non pas condamner ceux qui ne voient pas cette lueur cĂ©leste pointer Ă lâhorizon de lâhumanitĂ©. Voyez comme ils sont malheureux, ces hommes dont plusieurs ont de la droiture et de la bontĂ© dans leur aveuglement, de ne pas apercevoir dans un avenir prochain lâissue providentielle de lâabominable sociĂ©tĂ© oĂč nous languissons. Quelle souffrance pour les cĆurs honnĂȘtes, de voir rĂ©gner dans toutes les institutions, dans les prĂ©jugĂ©s, dans les actes lĂ©gislatifs, le mensonge, lâĂ©goĂŻsme et lâimpudence ! Le monde livrĂ© aux pĂ©dans, aux viveurs et aux sabreurs !⊠⊠Vous aurez lu sans doute lâarticle que Pierre Leroux a fait sur vous dans le numĂ©ro de ce mois. Il nâest pas assez louangeur, Ă votre grĂ©, mâa-t-il dit. Mais la louange gĂąte les hommes, et la plus tendre, la plus ardente des louanges, la plus mĂ©ritĂ©e des couronnes pour les nobles cĆurs et les vraies intelligences, câest un bon conseil. Il a raison aprĂšs tout, et vous le sentez dĂ©jĂ , sans que je vous le dise. Continuez, mon noble enfant, et restez peuple. Jâentends cela comme mon ami et mon maĂźtre Pierre Leroux peu importe que vous gardiez la truelle et la pipe. Si elles vous inspirent toujours, gardez-les toujours. Si un autre milieu, si dâautres occupations deviennent nĂ©cessaires Ă votre dĂ©veloppement, ne vous laissez pas effrayer par ceux qui vous diront que votre devoir est la souffrance et la fatigue du corps. Votre seul, votre vĂ©ritable devoir est de rester prolĂ©taire dans votre cĆur, dans votre inspiration et dans vos entrailles, que vous soyez maçon ou toute autre chose dans la sociĂ©tĂ© des hommes⊠Travaillez, faites encore mieux que le dernier volume. Il le faut. Je serai trĂšs sĂ©vĂšre avec vous, parce quâun dĂ©but comme le vĂŽtre impose lâobligation dâun grand progrĂšs. Si vous voulez mâenvoyer quelques piĂšces, je les analyserai attentivement, et vous Ă©crirai tout ce que jâen pense, avec la plus grande sincĂ©ritĂ© et la plus grande sollicitude. A vous de cĆur, mon cher Poncy. A Dieu ! » 14 mai 1842. SincĂ©ritĂ©, sollicitude, câest bien le caractĂšre que revĂȘtent les lettres suivantes de George Sand. Il y avait Ă dĂ©fendre Poncy de tant de dĂ©fauts ! Maintenant quâelle lâexaminait avec les yeux clairvoyans de lâamie, George Sand sâattachait Ă sĂ©parer lâivraie du bon grain. TĂąche difficile, oĂč elle apporta toujours une main ferme et dĂ©licate. Il y aurait un trĂšs intĂ©ressant chapitre Ă Ă©crire sur George Sand conseiller littĂ©raire. Elle voit Ă merveille chez les autres le bien et le moins bien, et, Ă cĂŽtĂ© du mal, elle indique le remĂšde avec une infaillible justesse. Solange fit lâĂ©preuve de cette magistrale perspicacitĂ©, qui embrassait Ă la fois le dehors et le dedans, lâenvers et lâendroit. Poncy la ressentit Ă©galement pour son bien, mais son instruction et son goĂ»t y profitĂšrent plus que son talent. Il nâĂ©tait pas susceptible, en effet, dâun dĂ©veloppement indĂ©fini ; il touchera bientĂŽt ses limites. George Sand, qui ne pouvait tarder Ă sâen apercevoir, nâen continua pas moins Ă le cultiver, Ă lâĂ©lever jusquâĂ elle par tous les moyens. Elle sâen prend dâabord Ă ses travers littĂ©raires car il en a, Ă©tant, au fond, plus imitateur ou assimilateur » que crĂ©ateur. TantĂŽt câest un dandysme de pacotille que Poncy a empruntĂ© de Musset, tantĂŽt des hugotismes » qui dĂ©tonnent sous la plume dâun prolĂ©taire. Quâest-ce que cette Juana lâEspagnole, » chantĂ©e par le trĂšs rĂ©cent Ă©poux de DĂ©sirĂ©e ? Voulez-vous ĂȘtre un vrai poĂšte ? soyez un saint ! » Quâil aime sa femme et non toutes les femmes. Aimez-la, aimez-la ! et vous verrez quâon aime toujours plus, quand on nâaime quâune seule femme. Lâamour ne se consume et ne sâappauvrit que dans les faibles cĆurs. Les organisations fortes le nourrissent fortement et lâalimentent toujours dâune flamme nouvelle. Quand jâai voulu peindre un homme plus fort que tous les autres, jâai fait Bernard Mauprat Ă lâĂąge de quatre-vingts ans, nâayant jamais connu le baiser que dâune seule femme, et jâai connu des hommes rares qui ressemblaient Ă celui-lĂ . Leur intelligence Ă©tait plus puissante que toutes les autres. » 10 fĂ©vrier 1843. Cependant Poncy achemine vers Nohant ses nouvelles poĂ©sies, en vue dâun second volume. George Sand lui a demandĂ© dâen faire la PrĂ©face. Ce sera le Chantier, titre proposĂ© par lâauteur, adoptĂ© par George Sand et acceptĂ© par BĂ©ranger. VoilĂ donc le Chantier sur chantier. On y travaille Ă Toulon. On corrige Ă Nohant, on rĂ©vise Ă Paris. Il faudra trouver Ă©diteur, faire les fonds nĂ©cessaires, trouver des souscripteurs, puis des acheteurs. Et George Sand nĂ©gociera avec son propre Ă©diteur Perrotin, obtiendra du crĂ©dit, fera ou fera faire des articles, souscrira, achĂštera, placera. Ce nâest plus seulement la patronne » et la maman de Poncy, câest son universelle Providence. Car elle pourvoit Ă tout. Et elle redresse, Ă©pluche, critique chaque piĂšce, sans perdre dâailleurs de vue les idĂ©es sociales, sans ralentir son prosĂ©lytisme enflammĂ©. Au passage, elle sâexprime avec une entiĂšre franchise sur les cĂ©lĂ©britĂ©s du jour, et ceci nâest pas le moins piquant de lâhistoire Mon cher enfant, comme il est convenu que vous ne montrerez jamais mes lettres, je puis vous Ă©crire tout ce que je vous dirais. BĂ©ranger est un peu politique. Il a lu vos vers et les a corrigĂ©s avec retenue et contrainte. Il ne veut pas croire Ă la modestie dâautrui, parce que la sienne est un peu jouĂ©e. Du reste grand poĂšte et homme de bien, mais chacun a son dĂ©faut. Il vous a fait de petites observations, avec un crayon qui ne marque guĂšre, et en effaçant une minute aprĂšs un conseil qui vous eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©cieux. Je vous envoie sa lettre, qui est plus franche et plus sĂ©vĂšre. Mais je ne pense pas quâil serait content dâapprendre que je vous lâai envoyĂ©e sans plus de façon. Câest un brave homme, qui ne veut prendre la responsabilitĂ© de rien, qui craint de fĂącher, et qui nâa dâimprudence, câest-Ă -dire dâentraĂźnement pour rien ni pour personne. Profitez toujours de sa lettre, qui est juste quant au prĂ©sent, mais qui est peut-ĂȘtre un peu sĂ©vĂšre pour lâavenir. Quâelle vous soit utile, et ne vous dĂ©courage pas. » 8 mars 1843. VoilĂ BĂ©ranger peint au vif. Ailleurs câest Victor Hugo qui est jugĂ© et critiquĂ©, Ă lâoccasion dâun mauvais vers de son maladroit Ă©mule Mon cher enfant, tous vos vers sont examinĂ©s avec soin, avec une sĂ©vĂ©ritĂ© que vous trouverez peut-ĂȘtre excessive, mais dont je ne chercherai pas Ă me justifier, vous savez bien pourquoi. Corrigez avec le mĂȘme courage que vous avez eu dĂ©jà ⊠Je ne vous renvoie pas quelques piĂšces auxquelles je nâai rien trouvĂ© Ă redire ; si ce nâest dans lâAnge et le poĂšte, un hĂ©mistiche seulement Et la mer encensait, immense cassolette, Les pieds divins de lâange et le front du poĂšte. La cassolette me dĂ©plaĂźt. Ăvitez, je vous le conseille, quand vous peignez les grandes scĂšnes de la nature, de comparer les grandes choses aux petites, et surtout Ă des meubles, Ă des objets qui ne prĂ©sentent quâune idĂ©e burlesque, tant lâobjet comparĂ© leur est supĂ©rieur en Ă©tendue, en beautĂ©, en grandeur idĂ©ale. Câest le dĂ©faut capital de ce sublime et absurde Victor Hugo, composĂ© de magnifique et de mesquin, de grandiose et de ridicule, homme de gĂ©nie que la louange a perdu, et qui sâen va droit Ă lâhĂŽpital des fous, montĂ© sur un PĂ©gase dĂ©bridĂ© qui a pris le vertigo. Ce malheureux poĂšte vous a terriblement influencĂ©. Il vous a fait du bien et du mal. Nâen gardez que le bien, jugez ses dĂ©fauts, et surtout son insupportable vanitĂ© qui lâa dĂ©tournĂ© de tout examen de lui-mĂȘme, de toute conscience, de tout respect pour la logique et le bon sens. â Ne croyez pas que je sois de ses ennemis je ne lâai jamais vu, je nâai jamais eu Ă me plaindre de lui en aucune façon, je lâai beaucoup admirĂ©, et sa folie me fait grandâpeine, ainsi quâĂ bien dâautres, et Ă BĂ©ranger tout le premier. » Paris, 7 mai 1843, deux mois aprĂšs les Burgraves. ĂperonnĂ© et tenu en main de la sorte, le facile Poncy donne maintenant tout son effort. Dix-huit mois sâĂ©coulent, dans le labeur intelligent et bienfaisant ; il obtient toute la maturitĂ© dont sa nature poĂ©tique est capable. Il aime, il Ă©tudie, il sâenthousiasme, il pleure aussi. Car la douleur le visite, et son Ăąme sensible est atteinte par la mort presque simultanĂ©e de sa mĂšre et de son premier enfant. BientĂŽt une autre espĂ©rance lui sourit ; et George Sand, avant que le second enfant soit au monde, lui demande de donner Ă cet enfant le nom de lâun des siens. Ce fut une fille Solange fut son nom, et sa marraine fut Solange Sand. Les poĂšmes du Chantier, qui parurent en volume en 1844, trahissent lâimpulsion vigoureuse qui partait de Nohant. Non seulement les idĂ©es, mais les sujets parfois VĂ©ritĂ© et RĂ©alitĂ©, le ton gĂ©nĂ©ral, çà et lĂ lâĂ©loquence vĂ©ritable, relĂšvent de cet idĂ©al humanitaire que George Sand soufflait Ă Poncy avec sa tendresse. Il y a de beaux Ă©lans dans la piĂšce intitulĂ©e Aspiration. Dans lâUnion, un chaleureux appel Ă la concorde des peuples Mes frĂšres, il est temps que les haines sâoublient, Que sous un seul drapeau les peuples se rallient ; Le chemin du salut va pour nous sâaplanir La grande libertĂ© que lâhumanitĂ© rĂȘve, Comme un nouveau soleil, radieuse se lĂšve Sur lâhorizon de lâavenir. Afin que ce soleil de clartĂ©s nous inonde, Afin que chaque jour son feu divin fĂ©conde Nos cĆurs, oĂč lâĂternel sema la vĂ©ritĂ©, Il nous faut achever lâĆuvre que Dieu commence ; Il faut que nos sueurs et notre amour immense Enfantent la fraternitĂ©. Dâautres morceaux, Byron Ă Albano, Une nuit sur lâAtlas, visent au poĂšme, ou Ă la mĂ©ditation, et y atteignent presque. Poncy est dans le Chantier sensiblement au-dessus de ses Marines ; mais, quoiquâil nâait que vingt-trois ans, il touche son zĂ©nith. Il nâira pas plus haut ; voire il retombera. Mais cet essor apprĂ©ciable suffit Ă George Sand. Il progresse, donc il montera toujours ! Et, dans sa joie, elle part en effusions prophĂ©tiques, elle transfigure son cher poĂšte, sans se demander si, elle aussi, nâenfourche pas quelque PĂ©gase qui prend Ă sa maniĂšre le vertigo ⊠Je ne mâĂ©tais donc pas trompĂ©e, vous serez et vous ĂȘtes dĂ©jĂ un grand poĂšte ! Bien des gens, malgrĂ© une approbation prononcĂ©e pour votre premier volume, me raillaient de mon engouement pour mon maçon. Eh bien ! mon maçon a trĂšs bien justifiĂ© mon engouement. Tous ceux Ă qui je lis vos nouveaux vers, Victor Laprade, François, Pernet[9]lui-mĂȘme, lâintraitable et incontentable Pernet, Bocage et dâautres encore sont dans lâenthousiasme⊠Câest le peuple qui Ă©clate par votre voix, vous ĂȘtes sa gloire. Oh ! reprĂ©sentez donc toujours son Ăąme et son esprit, non tel quâil est encore en grande partie, mais tel quâil doit ĂȘtre, tel quâil sera grĂące Ă ses beaux types, Ă ses poĂštes, Ă ses rĂ©vĂ©lateurs du feu sacrĂ© qui couve en lui depuis six mille ans, grĂące Ă vous qui ĂȘtes le premier de ceux-lĂ aujourdâhui⊠» Elle le loue ensuite, et avec raison, dâavoir si bien acceptĂ© et suivi ses critiques, dâavoir repris en sous-Ćuvre son intelligence et son cĆur Ă la fois. » Il a compris quâil y avait des poĂštes de forme et des poĂštes de fond, il a voulu avoir la forme et le fond Ă la fois. Et elle repart, avec une Ă©loquence qui croĂźt de page en page la lettre en a douze Ce que vous avez composĂ© depuis que la douleur â hĂ©las ! triste maĂźtre, â est venue vous frapper au cĆur, est de dix coudĂ©es plus grand que tout ce qui a prĂ©cĂ©dĂ©. Mon pauvre enfant, Dieu vous prĂ©serve de boire toujours Ă cette source amĂšre ! Mais il est une religieuse tristesse, mĂȘlĂ©e dâĂ©clairs dâenthousiasme, dâespoir et de foi, que longtemps encore ni vous, ni moi, ni aucun de ceux qui ne sont pas dâinfĂąmes Ă©goĂŻstes porteront pour conseil et pour stimulant au fond de leurs Ăąmes navrĂ©es câest la tristesse de voir tant de malheurs dans le monde, tant de misĂšres Ă©craser, corrompre, avilir nos frĂšres. Je dis mes frĂšres, car moi qui suis nĂ©e en apparence dans les rangs de lâaristocratie, je tiens au peuple par le sang autant que par le cĆur. Ma mĂšre Ă©tait plus bas placĂ©e que la vĂŽtre, dans cette sociĂ©tĂ© si bizarre et si heurtĂ©e. Elle nâappartenait pas Ă cette classa laborieuse et persĂ©vĂ©rante qui vous donne Ă vous un titre de noblesse dans le peuple. Elle Ă©tait de la race vagabonde et avilie des BohĂ©miens de ce monde. Elle Ă©tait danseuse ; moins que danseuse, comparse sur le dernier des théùtres du boulevard de Paris, lorsque lâamour du riche vint la tirer de cette abjection pour lui en faire subir de plus grandes encore. Mon pĂšre la connut lorsquâelle avait dĂ©jĂ 30 ans, et au milieu de quels Ă©garemens ! Il avait un grand cĆur, lui ; il comprit que cette belle crĂ©ature pouvait encore aimer, et il lâĂ©pousa contre le grĂ© et presque sous le coup des malĂ©dictions de sa famille. Longtemps pauvre avec elle, il aima jusquâaux enfans quâelle avait eus avant lui. NĂ©e dans leur mansarde, jâai commencĂ© par la misĂšre, la vie errante et pĂ©nible des camps, le dĂ©sordre dâune existence folle, aventureuse, pleine dâenthousiasme et de souffrances. Je me souviens dâavoir fait la campagne de 1808 en Espagne sur une charrette, ayant la gale jusquâaux dents. AprĂšs cela, ma grandâmĂšre, qui Ă©tait bonne comme un ange au fond, pardonna, oublia, et reçut dans ses bras son fils, sa femme et les enfans. Je fus faite demoiselle et hĂ©ritiĂšre. Mais je nâoublierai jamais que le sang plĂ©bĂ©ien coulait dans mes veines ; et ceux qui mâont inventĂ© de charmantes biographies, me faisant gratuitement comtesse et marquise, parlant de mon bisaĂŻeul le marĂ©chal de Saxe et de mon trisaĂŻeul le roi de Pologne, ont toujours oubliĂ© de faire mention de ma mĂšre la comparse et de mon grand-pĂšre le marchand dâoiseaux. Je le leur apprendrai si jamais jâĂ©cris des mĂ©moires, ce dont je doute[10], parce que je nâaime pas Ă parler de moi câest si inutile ! Mais je devais vous dire tout cela, mon cher enfant, pour que vous ne me croyiez pas si intrue sic dans le peuple, ni si mĂ©ritante, moi grande dame, comme certains bourgeois mâappellent, de vous regarder comme mon Ă©gal. Vous voyez que, quand mĂȘme jâaurais les prĂ©jugĂ©s de lâinĂ©galitĂ©, jâaurais mauvaise grĂące Ă mâen targuer. Et je rends grĂące Ă Dieu dâavoir de ce sang plus chaud que le leur dans les artĂšres. Je sens que je ne suis pas obligĂ©e de faire des efforts de raison et de philosophie pour me dĂ©tacher de cette caste, Ă laquelle mes entrailles tiennent beaucoup moins directement quâau ventre de ma mĂšre. CâĂ©tait bien la vraie mĂšre de Consuelo[11], battant dâune main et caressant de lâautre, portant ses enfans sur son dos, tendre et violente, terrible dans sa colĂšre et gĂ©nĂ©reuse dans son amour. Depuis le jour oĂč elle a aimĂ© mon pĂšre, elle a Ă©tĂ© exemplaire dans sa conduite, et ma grandâmĂšre avait fini par lâaimer. Mais câest assez vous parler de moi. Pardonnez-moi ce mouvement dâorgueil, et croyez que je comprends bien les tentations de lâhomme du peuple devant les enivremens que le riche et lâoisif prĂ©sentent Ă sa soif dâĂ©motion et de bonheur. Mais je les connais bien aussi, ces classes perverses et dangereuses qui ne caressent que pour Ă©trangler. Les exceptions y sont si rares, que nous devons y avoir peu dâamis ; et, quelque avilis, quelque corrompus et abjects que nous voyions nos frĂšres, nous devons nous dire que câest nous, nous-mĂȘmes, la moelle de nos os, la chair de notre chair et le sang de notre sang, qui gĂ©mit lĂ dans la fange. Vous Ă©criviez Ă Jourdan[12]que vous ne pouviez voir cela sans rougir et sans dĂ©sespĂ©rer de la bontĂ© de Dieu. Eh bien ! est-ce que vous ne portez pas un reflet de la bontĂ© de Dieu dans votre Ăąme, vous ? et aussi un rayon de sa force et de sa puissance ? Sâil vous a donnĂ© cette force et cette pitiĂ©, ces moyens souverains dâagir pour la rĂ©habilitation des autres, apparemment que Dieu nâabandonne pas la race humaine Ă ses propres dĂ©sastres. Il lâappelle par votre voix. Il la stimule par votre exemple, et bientĂŽt elle se relĂšvera. Car Dieu se rĂ©vĂšle chaque jour davantage Ă des poĂštes et Ă des philosophes plĂ©bĂ©iens. Proudhon, simple ouvrier, est un penseur bien remarquable ; et je ne sais pas trop ce que nos philosophes patentĂ©s, nos hommes dâEtat doctrinaires et autres trouveront Ă lui rĂ©pondre. Ayez donc courage ! Le genre humain est soumis Ă une longue et pĂ©nible Ă©ducation. Le temps ne paraĂźt long quâĂ nous. Aux yeux de Dieu, il nâexiste pas. Nos siĂšcles ne comptent pas dans lâĂ©ternitĂ© ; car nous mourons pour renaĂźtre et progresser. Chaque existence est la rĂ©compense ou le chĂątiment de celle qui lâa prĂ©cĂ©dĂ©e. Chaque vertu amasse pour notre prochaine rĂ©apparition sur la terre un trĂ©sor de dĂ©dommagemens et de force nouvelle. Soyez sĂ»r que vous avez dĂ©jĂ vĂ©cu de tout temps sur la terre, et que votre gĂ©nie poĂ©tique est la rĂ©compense de quelque belle action, de quelque noble dĂ©vouement dont vous ne vous souvenez pas. Faites-en donc un noble usage, afin de vous rĂ©veiller apĂŽtre ou hĂ©ros aprĂšs le sommeil de la mort. Et maintenant ne doutez pas et ne dĂ©sespĂ©rez pas ; vous qui ĂȘtes un des sanctuaires de lâaction divine, vous nâavez pas le droit de douter de cette action sur le monde. Priez toujours ! Dites toujours Seigneur, Seigneur, la vĂ©ritĂ© ! La foi vous viendra. Câest alors seulement que vous serez un poĂšte complet, un grand poĂšte. Et maintenant que je vous couronne avec tant de joie et de tendresse, ne soyez pas enivrĂ©. Restez modeste. La modestie nâest pas, comme on le prĂ©tend, une hypocrite vertu. Telle que je lâentends, câest un sentiment profond de notre devoir. Du moment que nous sommes plus contens de nous-mĂȘmes quâil ne faut, nous perdons nos forces, la conscience sâen va, nous travaillons mal, follement et inutilement. Quand les hommes faciles Ă lâenthousiasme autant quâau dĂ©nigrement nous portent bien haut, interrogeons Dieu, et demandons-lui si nous avons fait autant quâil attendait de nous. Voyons le but de nos efforts il est immense ! Voyons la saintetĂ© de notre cause elle est sublime ! Voyons lâaspiration que Dieu nous a donnĂ©e pour lâidĂ©al elle est infinie ! or, rien de ce que nous faisons jour par jour nâest Ă la hauteur de notre but et de notre dĂ©sir. Si nous croyons avoir atteint ce but, apparemment il cesse de nous paraĂźtre infini et divin. Ce sentiment, cette foi perdus, par quoi serons-nous inspirĂ©s ? Par lâamour de nous-mĂȘmes ? Mais nous sommes des ĂȘtres finis, bornĂ©s, impuissans, mobiles, soumis Ă la dĂ©faillance, au caprice, Ă lâennui, Ă la fatigue, Ă la maladie. Quand nous crĂ©ons quelque chose de grand et de beau, savez-vous que câest un miracle ? oui, câest un miracle dâen haut. Câest Dieu qui vibre, qui parle, qui agit en nous. Nâest-ce pas le moment dâĂȘtre humbles et reconnaissans ? Que deviendrions-nous sâil nous retirait le feu sacrĂ© ? Et il nous le retire, Ă coup sĂ»r, aussitĂŽt que nous le cherchons en nous seuls. Il se fait tard. Bonsoir, mon enfant⊠» Paris, 23 dĂ©cembre 1843. Ainsi monte, monte, dans le silence de la mĂ©ditation nocturne, la pensĂ©e du grand Ă©crivain. Son Ăąme, toute gonflĂ©e des aspirations indistinctes de lâĂąme populaire, prend lâessor. Elle montre Ă Poncy la route sublime, et lâinvite Ă la suivre. Mais Poncy nâest plus ici lâouvrier de Toulon, câest lâĂȘtre collectif qui souffre et qui espĂšre, câest un symbole. De telles pages, qui ne dĂ©passaient peut-ĂȘtre pas son intelligence, dĂ©passent infiniment sa personne. Câest une voix dâen haut qui rĂ©pond Ă une voix dâen bas[13]. FiertĂ© Ă rebours que cette vĂ©hĂ©mente revendication plĂ©bĂ©ienne chez lâarriĂšre-petite-fille de Maurice de Saxe, soit ! confidences horribles et inutiles ! » sâĂ©criera Solange, qui balafrera cette lettre dâun crayon irritĂ©[14]. Solange sâexprime souvent en personne un peu trop sĂ»re dâavoir recueilli dans ses veines tout le sang bleu de la famille. Horribles Ă ses yeux, ces confidences sur la fille du marchand dâoiseaux peuvent paraĂźtre trĂšs attachantes Ă des yeux moins filiaux. Quant Ă leur utilitĂ©, elle est pĂ©remptoire pour ceux qui cherchent Ă pĂ©nĂ©trer lâĂąme passionnĂ©e de lâamie de Leroux, de la future collaboratrice de Ledru-Rollin. Et puis, tout cela devait demeurer secret entre elle, et Poncy. Ne montrez ces lettres Ă personne ! » lui recommande-t-elle Ă tout instant. Et Poncy fut fidĂšle, en ceci comme en tout le reste. Câest cette condition du secret qui explique les jugemens trĂšs libres de George Sand sur les hommes et les choses de ces annĂ©es dâattente. Et, lâun corrigeant lâautre, elle autorisait les mercuriales quâelle devait parfois infliger Ă son enfant » par des sĂ©vĂ©ritĂ©s non moins justes qui tombaient Ă plomb sur ses contemporains les plus notoires. On en jugera par ces extraits dâune lettre qui ne compte pas moins de quatorze pages serrĂ©es Mon enfant, ne vous fĂąchez pas aprĂšs nous, et croyez que nous faisons tout ce qui nous est possible⊠Nous ne regrettons pas notre peine, si vous ne nous en voulez pas trop. Je ne sais pas si M. Jourdan vous annonce toutes les petites modifications que nous nous permettons. Je vous dĂ©clare, bien que vous ayez pensĂ© le contraire, quâil est beaucoup plus sĂ©vĂšre que moi. Mais peut-on lâĂȘtre trop, quand on est en mĂȘme temps respectueux et enthousiaste admirateur ? Si vous ne vous fiez point Ă nous deux, et si votre orgueil vous fait regretter de mauvaises choses justement sacrifiĂ©es, vous ne vous fierez Ă personne, et vous caresserez vos dĂ©fauts avec amour comme les maĂźtres de lâĂ©cole romantique. Il leur en cuit, et il vous en cuira, Ă moins que vous ne soyez entourĂ© de flatteurs aveugles, qui vous brĂ»lent sous le nez un encens grossier en vous persuadant que vous ne pouvez faillir. La vanitĂ© est lâennemi intĂ©rieur que les poĂštes portent en eux. Vous en avez, et je ne cesserai pas de vous dire que pour ĂȘtre un grand poĂšte il faut ĂȘtre un bon enfant. Le gĂ©nie ne grandit quâĂ la condition dâĂȘtre modeste. Il est vrai que vous avez corrigĂ© admirablement et avec courage. Jâai donc plus de complimens que de sermons Ă vous faire. Mais je vous gronde et je vous blĂąme de regretter le tonnerre taille, et autres ĂąpretĂ©s de langage ou mĂ©taphores exagĂ©rĂ©es que le goĂ»t proscrit. Je ne me pique pas dâĂȘtre classique, je mâen dĂ©fends au contraire. Mais je me dĂ©fends aussi de lâexcĂšs romantique, et je crois que le beau est Ă la limite de lâun et de lâautre. A preuve que vous ĂȘtes, sauf quelques cas signalĂ©s, Ă cette limite excellente. Quand vous ĂȘtes vraiment grand, vraiment inspirĂ©, vous ĂȘtes aussi romantique que possible, et en mĂȘme temps aussi classique que possible, câest-Ă -dire que vous ne tombez ni dans le stupide de lâun, ni dans lâabsurde de lâautre, et que vous avez pourtant toutes les forces vives de lâĂ©cole de Hugo et toute la puretĂ© majestueuse de lâĂ©cole de Racine. Cultivez lâune et lâautre, sans ĂȘtre le copiste dâaucune. Quand vous entendrez dire Ă vos courtisans VoilĂ du Hugo ! » soyez sĂ»r que vous avez lĂąchĂ© une folie ; de mĂȘme que si lâon vous dit VoilĂ du Racine ! » vous aurez lĂąchĂ© une platitude. Câest que ce qui est lâimitation servile des modĂšles est toujours mauvais, quelques grands que ces modĂšles soient⊠Je ne voudrais pour vous corriger que vous montrer le ridicule amer et dĂ©plorable de la plupart de nos grands hommes ils vous sembleraient petits et bĂȘtes ; et pourtant ils ne sont quâun peu fous, et enivrĂ©s de flatteries. Moi, je vous dis vous avez du gĂ©nie et de lâesprit ; faites servir votre esprit Ă empĂȘcher votre gĂ©nie de vous rendre bĂȘte. Je blĂąme une petite partie de vos dons. Un exemplaire Ă de Musset ! Il mĂ©prise profondĂ©ment les ouvriers poĂštes, et, Ă moins quâun miracle ne se fasse en lui, il crachera sur votre volume. Il est devenu talon rouge et conservateur, Ă la fois marquis et juste milieu. Aussi nâa-t-il plus le feu sacrĂ© qui lui inspirait autrefois des chants sublimes. Il est mort. Un exemplaire Ă Lerminier !⊠Câest donc pour quâil vous Ă©trille et que je sois forcĂ©e encore de dĂ©fendre votre cause contre lui[15] ? Mais pourquoi sâhumilier devant ses ennemis et leur faire la rĂ©vĂ©rence ?⊠Un Lerminier ! Je ne vous le passe pas ! ou bien, si vous ne savez pas ce que câest que Lerminier, Ă la bonne heure ! sancta simplicitas ! Jâajouterai Ă votre liste quelques noms que vous avez oubliĂ©s Magu, Le Breton, Beuzeville, Ponty, Perdiguier, etc.[16]. Mais tout cela me regarde. Je compte en acheter un certain nombre Ă Perrotin pour les rĂ©pandre. Jâen enverrai douze Ă Lyon, Ă de braves canuts, meilleurs juges, croyez-moi, et admirateurs plus dignes que vos hommes de lettres. Soyez tranquille pourtant. Presque tous ceux que vous me dĂ©signez auront leur tribut ; et, quand aux autres, jâen chargerai Jourdan si vous y tenez, quoiquâil me dĂ©plaise fort de voir mettre ma prĂ©face aux pieds de M. Lerminier, et de ce pauvre Alfred qui se croira obligĂ© dâallumer son cigare avec, sâil ne fait pis. â Votre livre sâappelle le Chantier, comme vous lâavez voulu. Le titre me paraĂźt fort bon. Vous ĂȘtes dans une grande erreur de croire tant Ă lâimportance dâun titre. Quels imbĂ©ciles vous ont mis cela dans la tĂȘte ? Dites-leur que je sais mieux quâeux que les livres ne signifient que par ce qui est dedans, et non par ce qui est dessus. Jâaurai soin de votre lettre pour Lamennais, quoiquâil ne mâapprouve pas beaucoup de vouloir tant civiliser et glorifier le peuple. ⊠Ce nâest point une utopie lâavenir du monde, lâidĂ©al de lâĂ©galitĂ© future est lĂ , et non ailleurs. Si bon, si beau, si grand que soit un homme, du moment quâil est nĂ© dans la noblesse ou dans la bourgeoisie, et quâil sây est dĂ©veloppĂ©, il ne comprend pas le peuple. Arago, Lamennais, BĂ©ranger, Lamartine, oui certes, grandes gloires, grands gĂ©nies, grands et beaux caractĂšres ! Et cependant la prĂ©dication de lâĂ©galitĂ© est Ă leurs yeux une folle et dangereuse utopie. Ils aiment le peuple et lâhonorent autant quâils peuvent ; mais ils ne croient point en lui, ils ne le connaissent pas, ils ne le comprennent pas. Ce nâest pas leur faute ! Je ne connais quâun bourgeois qui porte rĂ©ellement le peuple dans son cĆur câest Louis Blanc, jeune homme dâun admirable talent et dâune haute capacité⊠Le grand Reynaud lui-mĂȘme, cette admirable intelligence, croit et pousse un peu maintenant Ă la conservation des castes. Cette mortelle erreur a atteint les plus nobles esprits de notre temps. Le rĂ©veil viendra sans doute. Mais, en attendant, le peuple doit faire son Ćuvre et compter sur lui seul. Votre Flora Tristan est une comĂ©dienne, votre EugĂšne Pelletan un farceur. Jean Aycard, Charton, braves jeunes gens, mais bourgeois ! Envoyez-leur des exemplaires. Acceptons le peu que font ceux-ci, et tout ce dont ceux-lĂ font le semblant ; mais quand vous lĂšverez Ă lâavenir du monde, Ă la rĂ©gĂ©nĂ©ration de la foi et de la vertu, inspirez-vous du peuple, mon enfant⊠Jourdan mâa fait voir une ancienne lettre de vous, oĂč vous Ă©tiez aussi sceptique que les plus sceptiques. Vous Ă©tiez blessĂ© des mauvaises rimes de Savinien Savinien serait un grand poĂšte sâil nâavait dĂ©jĂ pris les vices de cĆur de la bourgeoisie littĂ©raire quâil frĂ©quente et quâil singe. Il ne fera pas de progrĂšs, je vous le prĂ©dis ; il est perdu dâorgueil, dâambition et de vanitĂ©. Vous Ă©tiez dĂ©sespĂ©rĂ© de voir lâabjection et les vices du pauvre peuple ! Mon enfant, vous regardiez la rĂ©alitĂ©. La rĂ©alitĂ© nâest pas la vĂ©ritĂ©. Il y a lĂ une grande distinction Ă faire. Tenez, vous pourrez la faire en termes poĂ©tiques et en beaux vers. Câest un sujet digne de vous. Moi, je vais vous lâindiquer en vile prose. La rĂ©alitĂ©, câest le spectacle des choses matĂ©rielles ; câest changeant, mobile, transitoire, transformable, Ă©phĂ©mĂšre comme elles. Ce nâest donc pas la vĂ©ritĂ©. La vĂ©ritĂ© est immuable et Ă©ternelle. Câest quelque chose dâabstrait et dâĂ©ternellement pur et beau comme Dieu, car câest Dieu mĂȘme⊠» Suit une page sur ce thĂšme, que Poncy a mĂ©diocrement versifiĂ©e dans son recueil. Voyez donc la rĂ©alitĂ© pour souffrir et pleurer sur les maux de la terre. Voyez la vĂ©ritĂ© pour avoir confiance en Dieu et lire dans lâavenir du monde. Et puis, quand vous pensez Ă notre monde de lettrĂ©s et dâĂ©rudits, ne vous figurez pas que Dieu leur parle plus quâĂ vous, noble poĂšte ignorant des choses dâici-bas, plus quâĂ DĂ©sirĂ©e, cette simple fille de la nature et de lâamour. Ne vous faites pas des idoles de chair et de sang, car tout cela câest de la boue si Dieu ne lâĂ©chauffĂ© et ne le transforme. Ne vous prĂ©occupez pas de comprendre ce que veut celui-ci, et ce que cache celui-lĂ . Tout cela, câest le chaos de la dissolution qui se fait dans les intelligences avant de se faire dans les institutions. Ce miracle sortira du peuple ; et vous, poĂšte prolĂ©taire, vous ĂȘtes un des prophĂštes du miracle, le plus inspirĂ© jusquâĂ prĂ©sent ! Ayez grande idĂ©e de votre mission, et pas plus dâamour pour vous-mĂȘme que pour le vase oĂč brĂ»le lâencens, lâautel oĂč descend la flamme. Ne cherchez pas votre gloire en ce monde. Ne perdez pas votre temps Ă Ă©crire Ă tous ces gens de lettres, Ă tous ces faiseurs de systĂšmes plus ou moins Ă©troits. Lisez quelques bons livres, peu et bien ; et puis, allez toujours en avant de ces livres, et cherchez en Dieu qui vous parle tout ce qui manque encore Ă lâĆuvre des hommes. Cette lettre de sermons est tout Ă fait secrĂšte. Jây parle des hommes les plus illustres de notre temps avec un peu de franchise. Il ne serait pas utile, il serait mĂȘme nuisible Ă des hommes faibles, de les dĂ©senchanter de ces types qui matĂ©rialisent Ă leurs yeux tout ce qui reste de grand sur la terre. Mais vous comprendrez, vous, ma distinction vous verrez le respect quâon leur doit, mais le respect plus grand encore quâon doit Ă ce qui est au-dessus dâeux, la vĂ©ritĂ©. Leurs doutes, leurs incertitudes, leurs mĂ©fiances, leurs dĂ©couragemens, nâentament point lâarmure de lâimmortelle beauté⊠» 26 janvier 1844. Cinq semaines aprĂšs, le 2 mars 1844, paraissait chez Perrotin le Chantier, avec la copieuse PrĂ©face de George Sand. Satisfaction et fiertĂ©. Savez-vous que vous ĂȘtes le seul poĂšte ouvrier qui puisse trouver un Ă©diteur Ă Paris, par le temps qui court ? » On ne lit plus de vers. Tel est le triste Ă©tat des choses. » Cependant, parmi ceux qui lisent, certains ne sont pas favorables Ă Poncy. Quelques juges sĂ©vĂšres font mĂȘme des restrictions graves. Qui sait si George Sand elle-mĂȘme, devant lâouvrage imprimĂ©, nâen fait pas ? Car dans ce cas, suivant le joli mot de La BruyĂšre, lâimpression est lâĂ©cueil. » Il faut quâelle ait vu plus clair aprĂšs coup, â un peu tard, â pour faire au poĂšte un rĂ©sumĂ© aussi impartialement fidĂšle desdites critiques Ils trouvent que je suis trop engouĂ©e de vos vers, que jâen ai trop dit de bien, et quâil est Ă craindre que vous nâen preniez trop de confiance en vous-mĂȘme. Ils disent que vous avez Ă©normĂ©ment de talent, et pas encore de vĂ©ritable gĂ©nie. Ils vous admirent en tant quâouvrier poĂšte et enfant poĂšte mais ils ajoutent que pour ĂȘtre vraiment un grand poĂšte il faut avoir plus vĂ©cu, plus senti, plus appris, plus mĂ©ditĂ©, plus souffert des maux gĂ©nĂ©raux que vous nâavez pu encore le faire. Ils demandent que vous ne vous pressiez pas de faire dâautres vers, que vous laissiez mĂ»rir en vous de mĂąles et fortes pensĂ©es, que vous viviez Ă fond avec les hommes, avec lâhumanitĂ© abstraite et rĂ©elle ; enfin ils disent quâil faut que lâenfant se fasse homme⊠» Et elle, que dit-elle ? Moi, je dis quâil y a du vrai dans tout cela, quoique ce soit bien sĂ©vĂšre ; et, si quelquâun doute que vous ayez la force de suivre de pareils conseils, moi je nâen doute pas. Je ne pense pas que vous deviez vous abstenir de faire des vers quand il vous en vient, mais je dis quâil nâen faut pas chercher quand il nâen vient pas⊠» 19 mars 1844. Poncy comprit-il ? Un peu, sans doute. Car nous le voyons essayer de la prose. Or, comme tous les rimeurs sans Ă©tudes, il Ă©crivait moins bien en prose quâen vers. Il envoie une nouvelle » Ă George Sand, qui la trouve Ă©triquĂ©e » et de style insuffisant. Mais, dit-elle, je suis toujours la mĂšre grognon et ne laisse rien passer. » Heureusement la naissance de lâenfant attendu vient faire diversion. Vers et prose sont oubliĂ©s auprĂšs du berceau de la petite Solange. Il reprend bientĂŽt la plume, pour sâexercer sur un sujet nouveau que George Sand lui propose la chanson de chaque mĂ©tier. Ce sera, entre parenthĂšse, son plus faible ouvrage, dâautant plus quâil est presque de commande mais Poncy a tant de docilitĂ© ! Câest la plus grande qualitĂ© de son caractĂšre ; câest sans doute en littĂ©rature son plus grand dĂ©faut. Il rime, il envoie des spĂ©cimens de ses chansons, et George Sand recommence Ă ĂȘtre enchantĂ©e. Les lettres recommencent Ă couler de Nohant, mais plus familiales, comme patriarcales. Poncy est initiĂ© peu Ă peu Ă cette paisible et exquise vie berrichonne que mĂšne sa protectrice, entre son fils, parfois sa fille, son frĂšre Hippolyte et son travail. Cependant on continue Ă parler de lui dans les feuilles avancĂ©es. Un sourd dĂ©sir sâempare de lâouvrier toulonnais, que les lauriers de Reboul, reçu en 1839 Ă Paris en triomphe, empĂȘchent de dormir. Voir Paris ! parler Ă ces hommes cĂ©lĂšbres qui lui ont Ă©crit, qui ont chantĂ© ses louanges ! Voir George Sand surtout, recevoir son accolade maternelle aprĂšs ses lettres ! Rien nâĂ©tait plus naturel. Et George Sand lui Ă©crit aussitĂŽt Venez ! » Elle aussi a le dĂ©sir de connaĂźtre son poĂšte, son fils spirituel. Ne doutons pas cependant quâĂ sa joie ne se soit mĂȘlĂ©e quelque apprĂ©hension. RĂ©pondrait-il, lâhomme, Ă lâidĂ©e quâelle sâen Ă©tait faite dâaprĂšs ses vers ? Cette fois, la connaissance pouvait ĂȘtre recueil. Et puis, elle savait quâils sâapprĂȘtaient Ă Paris, les autres, pour une manifestation en lâhonneur du poĂšte ouvrier. AprĂšs ces hommages bruyans et trop publics, Poncy serait-il encore son Poncy ? Enfin, le Paris corrupteur quâelle dĂ©testait, quâelle dĂ©testa toujours, nâallait-il pas le lui dĂ©praver ? Toute sa bontĂ© de maman sâatteste dans le billet de 100 francs quâelle mit sous enveloppe pour lui faciliter le voyage, et tout son cĆur dans les recommandations dont elle accompagne le billet. Elle lui traçait son itinĂ©raire, dĂ©taillait les changemens de diligence, les correspondances, les arrĂȘts. Elle lâattendrait Ă Nohant, Ă son retour de la capitale. Elle ajoutait, comme rĂ©signĂ©e Voyez donc Paris, puisque vous lâavez tant rĂȘvĂ©. Je crains pour vous une grande dĂ©ception. Moi, je hais cette ville de boue et de vices. Mais enfin câest la capitale du monde pour les arts et pour lâesprit. Adieu, et au revoir ! BientĂŽt, jâespĂšre ! » 1er nov. 1845. Poncy roulait aussitĂŽt vers Paris ; et, Ă Alfort, il tombait dans les bras de cinquante compagnons, ouvriers ou rĂ©dacteurs de la Ruche populaire, souscripteurs et admirateurs du poĂšte maçon. LâĂ©preuve redoutĂ©e par George Sand commençait. â Disons vite quâelle se termina tout Ă lâhonneur de Poncy. Mais, au dĂ©but, la manifestation faillit mal tourner. Un grand banquet attendait Ă Alfort notre poĂšte. CâĂ©tait dĂ©jĂ le cĂ©rĂ©monial obligĂ© salle de restaurant, drapeaux, toasts. Vinçard le harangua. On sâĂ©tait bien promis dâĂȘtre sages, dignes et seulement fraternels. » Mais les tĂȘtes peu Ă peu sâĂ©chauffĂšrent. On rĂ©crimina contre la bourgeoisie, le veau dâor, les habits noirs. Et, renchĂ©rissant encore, un orateur, mouchard ou imbĂ©cile, sâĂ©cria Marchons sur Paris ! enlevons-le dâassaut[17] ! » Tumulte. Le commissaire obligea le prĂ©sident Ă dissoudre la sĂ©ance, et interdit le banquet qui devait avoir lieu le soir mĂȘme. On le vit alors dans les salons, comme Reboul. Comme Reboul, il fut reçu par BĂ©ranger, par Lamennais, par Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Lamartine, Etienne Arago, etc. Et, comme Reboul, il se fatigua vite dâĂȘtre exhibĂ© comme un phĂ©nomĂšne. Le maçon de Toulon regrettait la truelle comme le boulanger de NĂźmes avait la nostalgie de sa boutique. Cependant, bien lui en prit, dans une circonstance quâil contait volontiers plus tard, de savoir gĂącher du plĂątre. Le MĂ©ridional grelottait dans son petit hĂŽtel de la rue Rambuteau. Il voulut faire du feu. La cheminĂ©e fumait, Ă lâasphyxier. Il sâen plaignit au propriĂ©taire. La rĂ©ponse fut quâil nây avait rien Ă faire, les fumistes ayant inutilement besognĂ© le matin mĂȘme. Au reste, leurs outils Ă©taient encore lĂ . Passez-moi une auge et du plĂątre. » Et Poncy enlĂšve sa redingote pour endosser la blouse. Le voilĂ sur le toit, dĂ©molissant, rebĂątissant. Une heure aprĂšs, la flamme pointait droit dans la cheminĂ©e aux yeux du propriĂ©taire Ă©bahi, bien convaincu quâil Ă©tait en prĂ©sence du premier fumiste du monde. Poncy sâesquiva donc de Paris au plus vite. Il dut nây demeurer quâune douzaine de jours, puisque, le 24 novembre, il Ă©tait dĂ©jĂ en route pour Toulon, aprĂšs avoir fait une Ă©tape de quelques jours Ă Nohant. LĂ Ă©tait pour lui lâintĂ©rĂȘt sĂ©rieux du voyage, et son Ă©motion. Ce que fut pour lui lâamie maternelle, dans le patriarcal Nohant, on le devine. Ce quâil y montra, lui, de qualitĂ©s morales et de charme de caractĂšre, paraĂźt au grand jour dans une lettre dont George Sand escorta son dĂ©part. Il dut la recevoir Ă Toulon Ă son arrivĂ©e. Peut-ĂȘtre mĂȘme DĂ©sirĂ©e la lut-elle avant lui, car elle savait lire, et mĂȘme elle Ă©crivait Ă George Sand des billets ingĂ©nus, dont George Sand exigeait que son mari respectĂąt lâorthographe Je vous ai trouvĂ© en tous points selon mon cĆur, et jâen suis si heureuse quâil me semble que ma vie en est augmentĂ©e ou renouvelĂ©e. Vous savez ? on cherche le vrai dans les idĂ©es, dans lâabstraction, dans lâabsolu, et câest la vie de lâintelligence. Mais le cĆur a besoin de chercher sa vie dans le cĆur de ses semblables, et quand on en est arrivĂ© comme moi Ă la vieillesse avec de si tristes expĂ©riences, quand, sur un si grand nombre dâĂȘtres que lâon a rencontrĂ©s et observĂ©s, la liste de ceux quâon peut vraiment estimer et chĂ©rir est si courte, câest une immense satisfaction que de pouvoir encore joindre une affection sans ombre et sans mĂ©lange dâalliage aux rares trĂ©sors quâon a dĂ©couverts et conservĂ©s. Vous voilĂ arrivĂ©, mon enfant, Ă cet Ăąge de maturitĂ© oĂč lâon est encore dans toute la fraĂźcheur de ses impressions, mais oĂč le jugement et ce que Leroux appelle la connaissance Ă©clairent les sentimens et les instincts. Eh bien, vous avez vraiment votre Ăąge, et câest le meilleur Ă©loge que je puisse faire de vous car les hommes Ă©levĂ©s dans le monde, au sein des lumiĂšres et des jouissances, sont toujours ou en avant ou en arriĂšre de la phase quâils traversent. Vous me faites lâeffet, auprĂšs dâeux, dâune note juste au milieu dâun charivari. Je savais bien que cette note juste devait se trouver dans lâĂąme dâun homme du peuple, le jour oĂč lâintelligence viendrait Ă se mettre en rapport avec le cĆur dans un tel homme. Quand jâai tracĂ© le caractĂšre de Pierre Huguenin[18], je savais bien que la bourgeoisie et la noblesse lâaccueilleraient avec un immense Ă©clat de rire, parce que je savais bien aussi que Pierre Huguenin ne sâĂ©tait pas manifestĂ© encore. Mais jâĂ©tais sĂ»re quâil Ă©tait nĂ©, quâil existait quelque part ; et, quand on me disait quâil fallait lâattendre encore deux ou trois cents ans, je ne mâinquiĂ©tais nullement. Je savais que ce serait lâaffaire de quelques annĂ©es seulement, et quâun prolĂ©taire ne tarderait pas Ă ĂȘtre un homme complet, en dĂ©pit de tout ce que les lois, les prĂ©jugĂ©s et les coutumes apporteraient dâobstacles Ă son dĂ©veloppement. Maintenant, je ne dis pas que vous soyez un personnage de roman nommĂ© Pierre Huguenin. Vous ĂȘtes beaucoup plus que cela, et je ne cherche pas Ă vous embellir en vous appliquant la forme dâune de mes fictions. Je nây songe pas. Vous savez que je me souviens peu de la forme et du dĂ©tail de mes compositions. Mais ce que je me rappelle, câest la conviction que les a fait naĂźtre. Câest que jâai regardĂ© comme certaine la possibilitĂ© dâun prolĂ©taire Ă©gal par lâintelligence aux hommes des classes privilĂ©giĂ©es, apportant au milieu dâeux les antiques vertus, et la force virtuelle de sa race. Jusquâici jâavais vu des Ă©clairs traverser lâhorizon, et sâobscurcir sous de gros nuages, parfois fort vilains, comme notre ami Savinien par exemple. Mais ce qui consternait lâĂąme dĂ©licate et exquise de CâŠ[19]ne mâĂ©branlait nullement. Depuis longtemps jâai appris Ă attendre, et je nâai pas attendu en vain. Pierre Huguenin est restĂ© parmi les fictions, mais lâidĂ©e qui mâa fait rencontrer Pierre Huguenin nâen Ă©tait pas moins une conception de la vĂ©ritĂ©. Vous ĂȘtes autre, et vous ĂȘtes mieux. Vous ĂȘtes poĂšte, donc vous ĂȘtes plus richement douĂ©, et vous ĂȘtes bien plus homme que lui. Vous nâavez pas cherchĂ© lâidĂ©al de lâamour dans une caste ennemie. Tout jeune, vous avez aimĂ© votre Ă©gale, votre sĆur, et vous nâavez pas eu besoin du prestige des faux biens et de la fausse supĂ©rioritĂ© pour vous Ă©prendre de la simplicitĂ©, de la candeur, de la beautĂ© vraie. Vous voyez aussi loin que lui, et vous puisez vos joies, vos Ă©motions, votre force dans un milieu plus rĂ©el et plus sain. VoilĂ comment les utopies se rĂ©alisent. Câest toujours autrement, et mieux. Câest lĂ une magnifique preuve de Dieu, que nous pouvons constater Ă chaque phase de la vie de lâhumanitĂ© quoique le vulgaire nây prenne pas garde. Quelquâun conçoit un idĂ©al, on en rit, et on lui pardonne, en disant Câest beau, mais trop beau. Puis les temps marchent, les faits sâaccomplissent, et il arrive que lâidĂ©al est dĂ©passĂ©. Les hommes alors comparent, et se retournent en souriant vers la prĂ©diction. Ils sâĂ©tonnent de la trouver si timide, et pardonnent alors Ă son peu dâampleur, Ă cause de la bonne intention ce qui ne les empĂȘche pas, les enfans quâils sont, de recommencer Ă railler toute prĂ©diction nouvelle. Cela est vrai pour les plus grandes choses comme pour les plus petites. Mais quiconque regarde lâhistoire intellectuelle et morale du genre humain arrive Ă un grand calme et Ă une foi inĂ©branlables. Alors vient le courage de rĂȘver tout haut, et câest un courage qui demande plus dâhumilitĂ© quâon ne pense, car le croyant sait bien que son rĂȘve sera pauvre et bornĂ© au prix de lâinvention infinie du grand artiste qui rĂ©alise Dieu ! Jâen ai bien davantage Ă vous dire, sur vous et sur le temps oĂč nous vivons ; mais je veux que vous receviez ma bĂ©nĂ©diction maternelle, en recevant les caresses de votre femme et de votre enfant. Lâheure passe ; je ferme ma lettre pour la reprendre bientĂŽt. Donnez-leur un tendre baiser pour moi, et pour tous les miens. Je vous aime, mes enfans, je ne puis vous rien dire de mieux et de plus vrai. » 24 nov. 1845. Noble et tendre lettre, deux fois attachante, et par lâĂ©lĂ©vation des sentimens quâelle respire, et par la pleine lumiĂšre quâelle verse sur la conception mĂȘme des romans socialistes de George Sand. Lâamour du peuple, devenu chez elle passion, crĂ©e une Ă©motion intellectuelle qui, Ă son tour, met en branle sa riche imagination et la lance sur les routes de lâhumanitĂ© future, idĂ©ale. Elle anticipe cette fĂ©licitĂ© par les crĂ©ations de son gĂ©nĂ©reux cerveau ; ses personnages, rĂȘvĂ©s, non rĂ©els elle le confessa, marchent en avant de leur siĂšcle, comme les modĂšles lumineux propres Ă Ă©clairer les gĂ©nĂ©rations tĂątonnantes ce sont des annonciateurs plus que des hommes. Et voici que, le rĂȘve Ă peine tracĂ© dans lâinfini devenir, la rĂ©alitĂ© tout Ă coup le formule ; mĂȘme, sâil faut en croire George Sand, â un peu trop intĂ©ressĂ©e Ă cette interprĂ©tation, â elle le dĂ©passe. Quâest-ce Ă dire, sinon que rĂȘve et rĂ©alitĂ©, vĂ©ritĂ© et poĂ©sie, apparaissent Ă cette heure de lâĂąme française comme magnifiquement confondus, et que nulle part ils ne se confondent en une plus pleine harmonie que dans le cĆur, dans lâesprit, dans les romans de George Sand ? Dâailleurs, il faudrait se garder, dans les Ćuvres les plus Ă©tranges de cette pĂ©riode, de rĂ©duire la part de rĂ©alitĂ© quâelles renferment. Ce serait leur mĂ©connaĂźtre une valeur de tĂ©moins » quâelles ont Ă un trĂšs haut degrĂ©. George Sand, comme son maĂźtre Rousseau, est profondĂ©ment imprĂ©gnĂ©e de la rĂ©alitĂ© ambiante quand elle Ă©crit le Compagnon du Tour de France ; la Nouvelle HĂ©loĂŻse nâen est pas plus pĂ©nĂ©trĂ©e. Et cette rĂ©alitĂ© mĂȘme, ici comme lĂ , est le ferment actif qui, dĂ©posĂ© dans un cerveau naturellement idĂ©aliste et dans une Ăąme naturellement passionnĂ©e, y produit cet enfantement chaleureux et splendide qui est celui du pur amour. Dâailleurs, lâexaltation tombĂ©e, reste la vue nette des choses. Dans ce passage, empreint du calme attendri qui est au fond la vraie George Sand, il est remarquable de voir avec quelle prĂ©cision elle dĂ©finit son espĂ©rance, mĂȘme sa foi Jâai regardĂ© comme certaine la possibilitĂ© dâun prolĂ©taire Ă©gal par lâintelligence aux hommes des classes privilĂ©giĂ©es, apportant au milieu dâeux les antiques vertus, et la force virtuelle de sa race. » Et la production rapide de ce prolĂ©taire homme complet, spĂ©cimen parfait dâhumanitĂ© future, fortifie sa foi en Dieu, en un Dieu qui nâest point simplement, â ce quâon a trop dit, â le Dieu de BĂ©ranger et des bonnes gens. Patience, calme, croyance inĂ©branlables, voilĂ ce quâelle professe, ce quâelle professera toujours. Depuis longtemps jâai appris Ă attendre. » Ce dont elle est sĂ»re câest que, lorsquâon attend dans un certain Ă©tat de ferveur, on nâattend pas en vain. Elle aussi, comme le vieil HomĂšre, pense que les priĂšres boiteuses des mortels atteignent un jour la divinitĂ© et lâinclinent vers nous ; et, sereine, elle attend, elle attendra toujours, parce quâelle croit. Poncy Ă©tait-il donc supĂ©rieur Ă son Pierre Huguenin ? Elle affirme, il est vrai, que, quand les utopies se rĂ©alisent, câest toujours autrement, et mieux. » Mais ne comparons pas cet ouvrier dĂ©jĂ trĂšs frottĂ© de littĂ©rature Ă un personnage de roman. Il Ă©tait lui-mĂȘme un composĂ© sympathique et charmant tel que le Midi en fait Ă©clore, de prĂ©fĂ©rence par une journĂ©e de soleil sans mistral. Une Ăąme gracieuse et vibrante, une conversation animĂ©e, spirituelle ; un tact exquis ; une absolue dĂ©licatesse en toutes choses et des maniĂšres Ă la fois populaires el instinctivement distinguĂ©es, qui le faisaient trouver partout Ă sa place. Solange, juge parfois acerbe des illusions de sa mĂšre, note ceci, de ce crayon qui visait probablement un peu la postĂ©ritĂ© DĂ©vouement cette fois bien placĂ© cette fois est une perle. Poncy Ă©tait un cĆur dâor, un esprit dâĂ©lite, â et lâhomme le plus honorable, lâami le plus sĂ»r, lâĂąme la plus pure. FidĂšle, dĂ©vouĂ©, intact. » Intact. Le mol doit rester. Et câest parce quâelle le sentait tel, que George Sand, Ă cette premiĂšre lettre tranquille et sereine, en ajoute dĂšs le lendemain une seconde, plus polĂ©mique, Ă©cho des luttes dĂ©jĂ soutenues, et symptĂŽme de celles qui se prĂ©parent Nous vivons encore dans le temps oĂč les races sont comme distinctes, oĂč elles se craignent et se jalousent quand elles ne se haĂŻssent pas. Câest bien Ă©trange aprĂšs 93, et câest pourtant comme cela. A Venise, le peuple dit encore dans son dialecte, en parlant des nobles, el sangue blĂč. En Espagne, presque tout le monde se dit noble ; et je ne sais si lâon trouve un paysan qui comprenne oĂč serait sa vraie noblesse de race. En Angleterre, oĂč lâon a parlĂ© de libertĂ© avant nous, on pratique encore assez tranquillement le rĂ©gime fĂ©odal. Ailleurs, lâhomme sans aĂŻeux et sans fortune est serf. Ici, nous nâavons plus que la chimĂšre de la noblesse en gĂ©nĂ©ral ; lâaristocratie nouvelle se dit sans prĂ©jugĂ©s ; mais elle se retranche dans la vanitĂ© de sa prĂ©tendue Ă©ducation, et, quand elle caresse lâhomme du peuple, câest encore avec un sentiment de protection, quand ce nâest pas avec un secret instinct de crainte. Et câest tout simple, au fond. Elle sent sous sa main un ĂȘtre plus faible et plus fort ; plus faible en gĂ©nĂ©ral par le raisonnement ; plus Ă©nergique et plus violent par les instincts. Et le bourgeois, qui ne sent pas au fond de son cĆur un amour brĂ»lant pour lâhumanitĂ© ou un courage hĂ©roĂŻque pour se dĂ©vouer Ă elle, souffre dâune certaine honte Ă la vue de cet ĂȘtre dont les dĂ©fauts, lâignorance et le malheur condamnent ses thĂ©ories dâĂ©galitĂ© sagement progressive, comme ils disent. Tout ce que P. Leroux disait lâautre soir Ă propos du National et des politiques sans idĂ©es sociales Ă©tait profondĂ©ment vrai. Ces bourgeois libĂ©raux nâont pas les entrailles quâil faudrait, et leur prĂ©tendue dĂ©mocratie est un systĂšme de tutelle et de conservation mal fardĂ©e du passĂ©. Mais laissons-les ; que nous importe ? Leur rĂšgne nâest pas destinĂ© Ă durer aussi longtemps que celui de lâancienne aristocratie. Ils nâont pour eux quâun fait prĂȘt Ă disparaĂźtre, puisque le peuple sâĂ©veille vite, que, malgrĂ© la torpeur de ses prĂ©tendus tuteurs, il commence comme un aigle au bord du nid Ă agiter ses fortes ailes et Ă en secouer la poussiĂšre. Maintenant, les bourgeois reconnaĂźtront peu Ă peu quâil faut faire place, non pas seulement Ă quelques parvenus dont lâintelligence a effacĂ© lâorigine et qui viennent sâasseoir Ă leur banquet, mais Ă des hommes plus fiers et plus forts qui, sans se dĂ©guiser en bourgeois et sans chercher Ă donner Ă leur sang la teinture bleue, auront autant de valeur et dâinfluence vĂ©ritable sur les esprits que les rhĂ©toriciens et les graduĂ©s sortis des collĂšges. A ceux-lĂ il faudra de plus larges et de plus nobles places que les distinctions et les traitemens pĂ©cuniaires. Il leur faudra place au soleil de la renommĂ©e sĂ©rieuse et de lâestime publique. Il ne sera pas toujours si facile, ni si joli de sâen moquer ; et quand un de ces hommes touchera aux idĂ©es de son temps, il y laissera une empreinte plus franche et plus profonde que tous ces beaux discoureurs qui prĂ©tendent savoir tant de choses, mais qui, apparemment, nâen savent on nâen veulent aucune bonne. Vous ĂȘtes le premier de ces hommes nouveaux, mon cher enfant. Vous voilĂ arrivant, en Ă©claireur vĂ©ritable et ouvrant un chemin⊠» etc. La lettre entiĂšre a neuf pages, et celle de la veille en avait cinq ! 25 nov. 1845. Ici apparaĂźt lâillusion. Poncy nâouvrait aucun chemin. Poncy nâĂ©tait pas Ă vrai dire un homme nouveau, » le rĂŽle de porte-flambeau ne lui convenait guĂšre. On ne pouvait le voir ainsi quâĂ travers un persistant mirage, ou par ces veillĂ©es de travail qui transfigurent toutes choses Ma lampe sâĂ©teint, et le jour approche⊠Je ne peux pas dater, je ne sais ni le jour, ni lâheure. » Le Poncy auquel sâadressent de telles lignes est, comme elles, en marge du temps et de lâheure ; ce nâest pas le vrai Poncy, lequel Ă©tait plus modeste dâenvergure, et reprĂ©sentatif » Ă un degrĂ© simplement moyen. Mais ce nâĂ©tait nullement lâĂ©claireur » attendu. Le mirage de George Sand nâen est pas moins Ă noter, puisquâon voit grĂące Ă lui que, pour elle, autre chose quâune question littĂ©raire Ă©tait en cause. La poĂ©sie, câest lâoccasion. Ce que voit George Sand Ă travers Poncy, câest dâabord et avant tout la propagande. Et, si elle a jetĂ© les yeux sur lui de prĂ©fĂ©rence, câest quâil lui a semblĂ© le plus digne jusquâici, le plus indemne, le plus intact, » des fils du peuple que la littĂ©rature prolĂ©taire le seul vĂ©hicule alors connu lui eĂ»t rĂ©vĂ©lĂ©s. DĂšs quâelle lâa vu, dĂšs quâelle a eu le contact Ă Nohant, elle le charge dâĂȘtre le missionnaire de la bonne parole. Ne connaĂźt-il pas, Ă Toulon, quelques jeunes officiers de marine gagnĂ©s aux idĂ©es libĂ©rales ? Ne peut-il, sur son chantier dâentrepreneur, â car sa situation commence Ă sâagrandir, â ou sur les chantiers voisins, faire pĂ©nĂ©trer les idĂ©es de Pierre Leroux et de Louis Blanc dans le cerveau des travailleurs ? Et elle lui envoie dissertations sur brochures, livres sur revues, programmes sur prospectus. Le chantier socialiste chĂŽmait moins encore que lâautre. Et cette activitĂ© infatigable de George Sand serait admirable, si elle nâĂ©tait illusoire. Car Poncy, malgrĂ© tout son zĂšle Ă suivre le mouvement, semble avoir Ă©tĂ© un apĂŽtre mĂ©diocre, et nâavait, en tout cas, rien dâun rĂ©volutionnaire. MĂȘme, ĂŽ ironie des choses ! Solange, qui lâa beaucoup connu et beaucoup aimĂ©, le taxe quelque part de conservateur. » Des deux, le bourgeois aurait-il donc Ă©tĂ© lâouvrier ? La question, si bizarre quâelle paraisse, peut cependant ĂȘtre posĂ©e. Quoiquâil en soit, depuis quâelle a vu Poncy, George Sand ne rĂȘve plus que de le rattacher, peu ou prou, Ă lâorbite de Nohant. Câest un Ă©lĂ©ment nouveau de vie quâelle voudrait verser dans ce microcosme dâart et de nature qui lâentoure, et quâelle rĂšgle, anime, enrichit, diversifie Ă son grĂ©, suivant les lois secrĂštes et les instincts de son pouvoir de crĂ©ation. Nohant, dĂšs lors, est bien un petit univers en abrĂ©gĂ©, une ruche artiste, une sorte de laboratoire social, et lâon y respire une atmosphĂšre spĂ©ciale, celle qui est nĂ©cessaire au gĂ©nie de George Sand pour quâil soit fĂ©cond. Sans doute Toulon est loin, et Poncy ne peut ĂȘtre un satellite habituel de la plĂ©iade berrichonne. Cependant il y a des mortes-saisons, qui seront vivantes Ă Nohant, si Poncy le veut ; et mĂȘme productives, ou du moins capables dâindemnitĂ©s, si Poncy veut y consentir. Car George Sand, avec sa bontĂ© maternelle, sait bien quâon ne dĂ©mĂ©nage point un travailleur avec femme et enfant sans lui offrir au moins lâĂ©quivalent de son gagne-pain. Mais justement ! Nohant a besoin de rĂ©parations câest le cas dâajouter une aile Ă la bĂątisse ! Et voilĂ George Sand faisant des plans admirables, en dĂ©pit de son budget. Un certain projet de calorifĂšre, surtout, qui broche Ă tout instant sur le sĂ©rieux et le lyrique de la correspondance, a une beautĂ© quâen tout sens on peut qualifier dâhomĂ©rique. Câest dĂ©jĂ la bonne dame de Nohant, et il y a de la grandâmĂšre dans cette femme de quarante ans. Voici cependant la fĂ©licitĂ© quâelle se forge, si Poncy venait Ă Nohant On courra les champs le dimanche et les jardins le soir. On dĂźnera ensemble, chacun ayant fait sa tĂąche ; Maurice, en blouse berrichonne, apportant des croquis dâaprĂšs nature ; moi, ayant fait mon chapitre de roman ; vous, ayant remuĂ© des pierres et des hĂ©mistiches ; Chopin ayant composĂ© des mazurkes et des mĂ©lodies dĂ©chirantes ou mĂ©lancoliques, selon lâintensitĂ© du soleil ; DĂ©sirĂ©e ayant soignĂ© son petit amour ; et ma Solange Ă moi, la plus paresseuse de tous, ayant Ă©reintĂ© son cheval noir ou dĂ©chirĂ© son voile aux buissons. Voyons, est-ce que nous nâaurons pas une heureuse vie, nous complĂ©tant les uns par les autres, et ne serez-vous pas le plus utile de la famille, vous qui nous bĂątirez une demeure matĂ©rielle, en nous donnant aussi les jouissances du cĆur et les dĂ©lices de la poĂ©sie ? Je crois bien que vous serez proclamĂ© le chef de notre rĂ©publique, puisque vous serez Ă la fois la pensĂ©e et le pouvoir exĂ©cutif du gouvernement. Dites-moi que vous acceptez⊠» 6 janvier 1846. Mais Poncy soulevait objection sur objection. Poncy, trop dĂ©licat pour accepter, » note le crayon de Solange, dĂ©cidĂ©ment lapidaire. Et, Ă vrai dire, bien des obstacles se dressaient. George Sand, dâailleurs, abondait avec ses amis en invitations inacceptables, et quâelle Ă©tait parfois embarrassĂ©e de tenir, vu les multiples exigences de son travail. Poncy devait bientĂŽt en faire lâexpĂ©rience. Aussi ses visites Ă Nohant furent-elles forcĂ©ment espacĂ©es. Les Ă©vĂ©nemens vont dâailleurs mettre Ă ces projets de rĂ©union plus dâune barriĂšre, sans parler des soucis domestiques, cĂŽtĂ© Nohant et mĂȘme cĂŽtĂ© Toulon. CĂŽtĂ© Toulon, les annĂ©es 1846 et 1847 furent marquĂ©es par deux accidens en mai 1846, Poncy reçut dans la mĂąchoire la ruade dâun cheval de soldat, et tout son organisme fut longtemps Ă©branlĂ©. En aoĂ»t 1847, il fut mordu par un chien quâon crut enragĂ©. George Sand calma de son mieux ses transes. Heureusement, le chien fut reconnu non hydrophobe. CĂŽtĂ© Nohant, les prĂ©occupations furent tout Ă fait sĂ©rieuses, et de tout ordre maternelles, intimes, morales, physiques, en attendant de devenir financiĂšres. Nous en avons touchĂ© un mot ailleurs[20]. Ce furent deux annĂ©es trĂšs cruelles, dont George Sand garda longtemps la brĂ»lure au cĆur. Au printemps de 1846, Chopin Ă©tait malade, et une amie fidĂšle, Mme Marliani, en danger de mort. George Sand, alors Ă Paris, se multipliait. Chopin a Ă©tĂ© malade, peu dangereusement, Dieu merci, mais ayant toujours besoin de beaucoup de soins. Et pendant ce temps, une excellente amie Ă moi Ă©tait Ă lâagonie. Nous avions perdu tout espoir, jâĂ©tais navrĂ©e ; jây passais les nuits ; le jour, jâallais dâun malade Ă lâautre. Enfin, mon amie est sauvĂ©e, et Chopin est guĂ©ri. Jâai Ă©tĂ© malade moi-mĂȘme Ă la suite de tout cela. » 22 avril 1846. Puis ce sont dâautres alertes Solange tombe dans un Ă©tat de langueur inquiĂ©tant. Sa mĂšre la soigne, la guĂ©rit. LĂ -dessus elle se fiance avec Fernand de Preaulx, pour rompre presque aussitĂŽt ce mariage. Elle sâest Ă©prise sur ces entrefaites de ClĂ©singer, et force la main Ă sa mĂšre que ce projet alarmait Ă juste titre. George Sand est si troublĂ©e son Ă©criture agitĂ©e en tĂ©moigne quâelle tutoie subitement Poncy ⊠Jâai du chagrin moi-mĂȘme, beaucoup de chagrin, Solange nâa plus voulu Ă©pouser lâhomme qui lâaimait. Elle a Ă©tĂ© inconsĂ©quente, et un peu dure. Jâai respectĂ© son indĂ©pendance comme une chose sacrĂ©e, mais je nâaurais pas agi comme elle ; jâai souffert, je souffre encore. Je crains que lâorgueil ne joue un plus grand rĂŽle dans sa vie que la tendresse et le dĂ©vouement. Quelle quâelle soit, sa force et sa volontĂ© sont Ćuvres de Dieu, et je ne chercherai jamais Ă les briser. Je te conterai tout cela, ce serait trop long dans une lettre⊠Je mâaperçois en finissant ma lettre que je vous ai tutoyĂ© contre mon habitude. Cela mâest venu naturellement, comme si jâĂ©crivais 5 mon fils. Et je ne tâen demande pas pardon. » 5 avril 1847. Ce tutoiement devait dâailleurs disparaĂźtre quelques mois aprĂšs, comme il Ă©tait venu. Ce qui ne disparaissait pas, câĂ©tait le chagrin. Il avait fallu rompre avec Chopin, devenu dĂ©sormais un obstacle Ă la paix domestique. Et un second mariage, dans lâentourage immĂ©diat de George Sand, avait Ă©tĂ© brusquement et cruellement rompu. La filleule de George Sand, Augustine Brault, qui avait dĂ» Ă©pouser le grand artiste ThĂ©odore Rousseau, sâen vit subitement abandonnĂ©e. LâĂ©motion fut profonde Ă Nohant, et le contre-coup en atteignit Maurice lui-mĂȘme. Peu aprĂšs, heureusement, Augustine fut fiancĂ©e Ă M. de Bertholdi ; George Sand la dota. Le mariage de Solange avait fortement entamĂ© ses finances, celui dâAugustine les Ă©puisa. Poncy, invitĂ© sur ces entrefaites, dut rebrousser chemin sur un contre-ordre arrivĂ© trop tard. Il se plaignit. George Sand sâexcuse, en lui faisant le bilan de cette triste annĂ©e Avec toi, comme avec presque tout, cette annĂ©e, je joue de malheur ; car ce chagrin la rupture du mariage dâAugustine nâa pas Ă©tĂ© le seul, et ta lettre dâaujourdâhui a Ă©tĂ© la derniĂšre goutte dans cette coupe dâamertume que je savoure. Il semble que tout ce que jâaime doive souffrir Ă cause de moi, ou que jâaie perdu lâĂ©toile qui me faisait les guider vers le succĂšs. Ce nâest pas faute de les chĂ©rir, mon Dieu ! et dâoffrir Ă la destinĂ©e ma vie et mon Ăąme pour eux, pour toi comme pour mes enfans, mon cher poĂšte !⊠â Nous y avons tous passĂ©. En sortirons-nous ? mes enfans, vous voyez ! Plaignez-moi un peu, et aimez-moi beaucoup jâen ai grand besoin ! » 15 juin 1847. MĂȘme note, deux mois aprĂšs, tant la crise fut longue, aiguĂ«. Elle rĂ©capitule ses tristesses rĂ©centes, et insiste sur lâattitude de Solange vis-Ă -vis dâelle Le mal lâa emportĂ© dans une Ăąme dont jâaurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien. A prĂ©sent, je lutte contre moi-mĂȘme pour ne pas me laisser mourir[21]. » 9 aoĂ»t 1847. Elle lutte de toute la force morale de son viril courage ; elle lutte par le travail aussi, son spĂ©cifique souverain. Non quâelle puisse en ce sens aller aussi loin que Montesquieu, qui Ă©crit LâĂ©tude a Ă©tĂ© pour moi le souverain remĂšde contre les dĂ©goĂ»ts de la vie, nâayant jamais eu de chagrin quâune heure de lecture nâait dissipĂ© ! » Mais la passion du travail, quâelle a toujours pu satisfaire au sein des pires Ă©preuves, lui est un cordial puissant. MalgrĂ© tant de traverses, elle Ă©crit en 1846 la Mare au Diable, les Noces de Campagne et Lucrezia Floriani ; le charmant Piccinino, le tendre François le Champi, se composent et se brodent, » en quelque sorte, parmi les dĂ©sespoirs de lâannĂ©e 1847, et elle entame lâHistoire de ma vie. Poncy, dĂ©sormais spectateur intime, quoique lointain, de cette extraordinaire existence, en suit les Ă©vĂ©nemens au fil des jours, car câest un besoin pour George Sand de se raconter Ă ses amis Ă©prouvĂ©s sans doute parce quâ Ă raconter ses maux souvent on les soulage, » mais aussi parce quâelle est nĂ©e conteuse, que sa vie est le roman mĂȘme, et quâentre son existence, Ă elle, et celle des romans quâelle imagine, elle ne voit pas de diffĂ©rence essentielle. Et, de fait, il nây en a pas. Tous ces accidens domestiques la tiennent plus Ă©loignĂ©e de Paris que de coutume. Jâai un peu perdu lâair qui souffle sur Paris et sur le public. Je vis dans une coquille, » Ă©crit-elle Ă Poncy, le 14 dĂ©cembre 1847. Cependant, Ă Paris, les Ă©vĂ©nemens se prĂ©cipitaient. Lâorage, longtemps couvĂ©, menaçait dâĂ©clater. CâĂ©tait, en juillet 1847, la propagande rĂ©formiste des banquets ; puis le discours radical de Ledru-Rollin Ă Lille ; bientĂŽt aprĂšs, la retraite du marĂ©chal Soult, et la prĂ©sidence du Cabinet dĂ©volue Ă Guizot. DĂšs le dĂ©but de la session 28 dĂ©cembre 1847, le discours du trĂŽne accuse les passions aveugles ou ennemies. » Les Ă©vĂ©nemens dâItalie surexcitent les passions rĂ©formistes. La discussion sur le droit de rĂ©union, lâaffaire du banquet du XIIe arrondissement, sont la premiĂšre Ă©tincelle. Et tout Ă coup, le 9 mars 1848, Poncy reçoit une fulgurante lettre avec cette suscription Au citoyen Charles Poncy Vive la RĂ©publique !⊠on est fou, on est ivre, on est heureux de sâĂȘtre endormi dans la fange, et de se rĂ©veiller dans les cieux ! » etc.[22]. Les temps sont accomplis. Câest la trompette de la rĂ©volution de FĂ©vrier. RessuscitĂ©e, galvanisĂ©e, George Sand est accourue auprĂšs de ses amis, pour les seconder. Câest de Paris quâelle envoie Ă son poĂšte, â pardon ! au citoyen » Poncy, â des lettres enflammĂ©es qui ressemblent Ă des Bulletins de la grande armĂ©e dĂ©mocratique. Elle peut se mettre aujourdâhui Ă la fenĂȘtre que voit-elle dans la rue ? ses romans qui passent. MĂȘme elle y descendra un instant, pour se mĂȘler aux rangs du peuple, et de la sainte canaille. » SAMUEL ROCHEBLAVE. â Leçons professĂ©es Ă la SociĂ©tĂ© des ConfĂ©rences, par M. RenĂ© Doumic George Sand, 1 vol. in-16, Perrin. â ConfĂ©rences de Mlle A. de Rothmaler Ă Luxembourg, et au Cercle artistique de Bruxelles Voyez lâArt moderne, 31 janvier et 7 fĂ©vrier 1909. â George Sand et sa fille. Voyez la Revue des 15 fĂ©vrier, 1er mars et 15 mai 1905. â Revue des Deux Mondes, annĂ©e 1838. â Revue IndĂ©pendante, n° 1, novembre 1841, janvier 1842, septembre 1842. â Du 27 avril 1842 au 3 avril 1876. La correspondance entiĂšre contient 226 lettres. Il en a paru 39 seulement, dans les six volumes de la Correspondance de George Sand. â Paris, 27 avril 1842 Corresp. de George Sand, t. II, p. 198. â Toutes les citations qui ne portent pas de renvoi Ă la Correspondance imprimĂ©e sont empruntĂ©es aux lettres inĂ©dites. â Directeurs-propriĂ©taires de la Revue IndĂ©pendante. â Câest ici, pourtant, que se trouve le germe de lâHistoire de ma vie, commencĂ©e quatre ans plus tard. â Consuelo venait de paraĂźtre dans la Revue IndĂ©pendante, de fĂ©vrier 1842 Ă mars 1842. George Sand Ă©crivait alors la fin de la Comtesse de Rudolstadt, qui paraissait dans le mĂȘme recueil depuis le 25 juin 1843, et dont la fin est sous 1er date du 10 fĂ©vrier 1844. â Ami de Poncy Ă Paris, qui secondait George Sand de son zĂšle en faveur du poĂšte. â Une voix dâen bas, titre du premier recueil de vers de Savinien Lapointe 1844. â Les lettres de George Sand Ă Poncy ont longtemps Ă©tĂ© entre les mains de Solange avant de passer dans les nĂŽtres. â Allusion Ă ses deux Lettres Ă Lerminier Ă propos du Livre du Peuple, de Lamennais. â Les quatre premiers sont quatre poĂštes-ouvriers voyez François Gimet, les Muses prolĂ©taires 1856 ; â EugĂšne Baillet, De quelques ouvriers-poĂštes 1898, etc â Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu, auteur dâun ouvrage sur le compagnonnage dont George Sand sâest servie pour Ă©crire le Compagnon du Tour de France. â Eug. Baillet, De quelques ouvriers-poĂštes, p. 104. â Dans le Compagnon du Tour de France. â Solange Ă©crit ici, de son crayon documentaire Chopin. â Une autre annotation nous le montre aristocrate dans lâĂąme, et nous donne Ă penser que, tant quâil Ă©tait Ă Nohant, George Sand craignait des froissemens en invitant Poncy. â George Sand et sa fille, chap. II. â Corresp., t. II, p. 372. â Corresp., t. III, p. 9.
GeorgeSand fut aussi une femme douloureuse. Elle le dit Ă longueur de pages, dans tous les genres possibles, sans vraiment convaincre que cette identitĂ© souffrante soit autre chose quâune manie romantique, ou un Ă -cĂŽtĂ© de sa vie, dâune permanence sans doute obsĂ©dante mais finalement accessoire, dans lâĂ©conomie dâune Ćuvre qui se dĂ©ploie avec la force et lâefficacitĂ©
Correspondance - Grand Format George Sand et Alexandre Dumas ont plus d'un trait en commun. Tous deux ont vĂ©cu une enfance campagnarde veillĂ©e par des femmes. Tous deux ont connu... Lire la suite 33,00 ⏠Neuf Ebook TĂ©lĂ©chargement immĂ©diat 22,99 ⏠TĂ©lĂ©chargement immĂ©diat 2,99 ⏠Grand format ExpĂ©diĂ© sous 6 Ă 12 jours 28,00 ⏠ExpĂ©diĂ© sous 2 Ă 4 semaines 24,90 ⏠ExpĂ©diĂ© sous 3 Ă 6 jours LivrĂ© chez vous entre le 31 aoĂ»t et le 5 septembre George Sand et Alexandre Dumas ont plus d'un trait en commun. Tous deux ont vĂ©cu une enfance campagnarde veillĂ©e par des femmes. Tous deux ont connu le succĂšs trĂšs tĂŽt. Et ils partagĂšrent la mĂȘme instabilitĂ© sentimentale, la mĂȘme libertĂ© sexuelle, qui scandalisĂšrent leurs contemporains. Mais leur relation serait probablement restĂ©e superficielle sans l'intervention d'Alexandre Dumas fils. En 1851, il rapporte Ă George Sand ses lettres Ă FrĂ©dĂ©ric Chopin qu'elle souhaite voir disparaĂźtre. C'est le dĂ©but d'une amitiĂ© exceptionnelle, par-delĂ les gĂ©nĂ©rations, entre l'auteur d'Indiana et celui qu'elle appellera son fils. Cette correspondance Ă trois voix a le pouvoir unique de restituer les dialogues passionnants entre ces gĂ©ants des lettres. Les considĂ©rations sur le théùtre et le roman se mĂȘlent aux anecdotes quotidiennes et aux rĂ©flexions politiques et sociales. De quoi faire de ce volume le miroir fidĂšle de la personnalitĂ© des Ă©pistoliers, et un tĂ©moignage, unique sur une Ă©poque, de la monarchie de Juillet Ă la TroisiĂšme RĂ©publique, en passant par le Second Empire. L'oeuvre de George Sand ne cesse d'ĂȘtre réévaluĂ©e. Cette correspondance inĂ©dite avec son fils spirituel, Alexandre Dumas fils, est une occasion nouvelle de lire l'auteur d'Indiana. Et de dĂ©couvrir les dĂ©bats qui ont enflammĂ© la France des annĂ©es 1851-1876, racontĂ©s par deux des plus grandes figures littĂ©raires de l'Ă©poque. Date de parution 17/10/2019 Editeur ISBN 978-2-7529-1211-4 EAN 9782752912114 Format Grand Format PrĂ©sentation BrochĂ© Nb. de pages 736 pages Poids Kg Dimensions 15,0 cm Ă 23,0 cm Ă 3,9 cm SpĂ©cialiste d'Alexandre Dumas, Claude Schopp a reçu, avec son Ă©pouse Marianne, le Prix Goncourt de la biographie 2017 pour Dumas fils ou l'anti-Ćdipe. Sa dĂ©couverte de l'identitĂ© du modĂšle de L'origine du monde de Courbet a Ă©tĂ© un Ă©vĂšnement mĂ©diatique international. Expert en autographes, Thierry Bodin a notamment Ă©ditĂ© chez Gallimard Lettres retrouvĂ©es de George Sand.LaSemaine religieuse de Paris vient de publier une lettre inĂ©dite de George Sand adressĂ©e en 1845 Ă Mgr Affre. Bien que baptisĂ©e, elle ne se contenta pas, on le sait, de vivre en marge de
RĂ©servĂ© aux abonnĂ©s PubliĂ© le 29/01/2021 Ă 0600 Olivier FrĂ©bourg. Mercure de France EXCLUSIF - Chaque semaine, Le Figaro Magazine publie une nouvelle inĂ©dite dâun Ă©crivain. Câest au tour dâOlivier FrĂ©bourg. Mon cher MaĂźtre, pourquoi ne commencerais-je pas lâannĂ©e 2021 en vous la souhaitant Ă vous et aux vĂŽtres bonne et heureuse, accompagnĂ©e de plusieurs autres? Câest rococo mais ça me ce mois de janvier 2021, il fait un froid de chien Ă Croisset. Il neige. Me voilĂ revenu auprĂšs de mon feu, et bĂ»che moi-mĂȘme. Avec ce couvre-feu Ă 18 heures, jâai lâimpression de replonger au temps de lâoccupation prussienne quand les garnisaires du prince de Mecklembourg salissaient la lire aussiGustave Flaubert, la fureur dâĂ©crire un NoĂ«l avec George Sand Ă NohantLes exigences de notre gouvernement sont insensĂ©es. On dit les nouvelles de Paris dĂ©plorables. CafĂ©s, restaurants, théùtres fermĂ©s, jeunesse en colĂšre prĂȘte Ă faire la rĂ©volution. Il me semble que nous nâavons jamais Ă©tĂ© aussi bas. Moi qui ai Ă©tĂ© le premier confinĂ© de France, reclus dans ma taniĂšre Ă travailler violemment, loin des charogneries contemporaines, je ne supporte plus de voir tous ces Rouennais masquĂ©s. Le masque, triomphe de lâuniformisation, plaĂźt au bourgeois. Ce rĂšgne de lâordre sanitaire satisfait⊠Cet article est rĂ©servĂ© aux abonnĂ©s. Il vous reste 79% Ă sa libertĂ©, câest cultiver sa Ă lire votre article pour 0,99⏠le premier mois DĂ©jĂ abonnĂ© ? Connectez-vous4Selon Françoise Alexandre, Delacroix fait allusion Ă la lune de miel de Sand avec Chopin (Alexandre, 2005, p. 228, n. 2 de la page 92). 5 Son fils Maurice est Ă Rouen avec son prĂ©cepteur Mallefille (voir n. 1 de la lettre Ă G. Sand, 1837 ) (Alexandre, 2005, p. 228, n. 3 de la page 92). ï»żPubliĂ© le 21 aoĂ»t 2017 par Jack-Martial Lettre de George Sand Ă son fils Maurice La vie est une guerre. » Jack-Martial JackmartialAugust 21, 2017 Lettre de George Sand Ă son fils Maurice " La vie est une guerre. " - Des LettresEn fĂ©vrier 1836, George Sand a 34 ans. Ă dix ans, alors que les relations entre ses parents se dĂ©litent, son fils Maurice devient pensionnaire au collĂšge Henri IV. Son pĂšre lui impose une Ă©ducation virile. L'enfant est crucifiĂ© par ses camarades qui prĂ©tendent que son pĂšre n'est pas son pĂšre et que sa mĂšre est une JKYhyb.